Discrétion constante
Constance est une femme discrète, ce n’est donc pas son vrai prénom, elle n’aurait pas aimé être reconnue ni que ses bonnes actions soient exposées au grand jour. C’est une femme d’une soixantaine d’années, mariée et mère d'un jeune adulte fort sympathique, elle vit confortablement dans un beau quartier de Paris. Elle a un regard qui ne cille pas quand elle vous écoute ; elle a aussi une voix basse et douce, posée et égale, qui dit beaucoup d’elle. Constance m’habille.
Bataille constante
J’ai déjà dit ici qu’une des difficultés des vies monoparentales est d’essayer de continuer à vivre normalement avec un seul salaire ; que ce qui nous fait tenir la tête haute sur ce choix solo, c’est de ne pas avoir chu socialement. Enfin, en l’occurrence, c’est ma bataille : ne pas me déclasser pour éviter de me déprimer. Ça fait longtemps que j’ai arrêté de penser aux vacances qui n’ont lieu qu’en famille. Et ça fait longtemps aussi que j’ai banni le shopping de mes passe-temps : j’ai vécu ces dernières années sur les beaux restes d’une vie précédente passée dans l’aisance. Sauf que les beaux restes, c’est comme tout, ça finit par s’user et ça donne envie de pleurer quand on doit se résoudre à les jeter.
Constante idée qu’on se fait du Diable
Constance m’a connue toute petite si je puis dire, j’étais stagiaire chez elle et, à l’époque, elle n’avait pas compté ses heures ni sa peine pour m’expliquer son métier. La petite entreprise dans laquelle elle travaille est restée depuis tout ce temps un lieu d’accueil chaleureux pour moi et nous avons depuis lors – tout à l’heure 15 ans – pris l’habitude de déjeuner régulièrement ensemble.
Elle sait beaucoup de ma vie, je sais un peu de la sienne. Elle est discrète je l’ai dit mais j’ai appris au fil du temps qu’elle venait d’un milieu modeste et avait été élevée, avec ses frères et sœurs, par leur mère devenue veuve très jeune. Que tirer le diable par la queue et manger son pain noir, elle savait exactement ce que cela voulait dire. Elle s’est faite toute seule, sans soutien financier parental, n’ayant peur de rien, se contentant du peu matériel qu’elle avait avec un moral d’acier. Elle a développé un soin exemplaire pour toute chose réalisée et une constance à faire pâlir tous les grands marathoniens de la life. Aucun misérabilisme, aucune plainte, jamais.
Constance de l’amitié
Un jour que je lui avouais que je tirais la langue et la queue du diable, elle m’a dit : « Je vais te donner des habits, c’est une habitude que j’ai, je donne les habits que je ne mets plus à des amies à qui ça fait plaisir. » Et depuis lors, Constance m’habille. Les habits qu’elle me donne sont en parfait état et de toute façon increvables, ce sont de ces habits que quand tu les portes tu te sens belle et du coup tu es belle. De ces habits que quand c’est hiver tu n’as plus jamais froid. Des habits qui ont le pouvoir de faire croire aux autres que socialement tout va bien pour toi. Et qui me font dire que tout va bien mieux pour moi depuis que Constance mon amie m’habille.