En Île-de-France, 75% de la livraison de colis est sous-traitée selon les syndicats de la Poste. Deux d’entre eux, Sud et la CGT portent plainte contre la Poste pour prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage. Nous nous sommes fait embaucher comme livreur Colissimo pendant une semaine. Ce que nous avons découvert nous a sidéré. Nous avons travaillé sans contrat et sans rémunération.
Sur le parking d'un centre de tri en région parisienne, les camions jaunes de la Poste ont été remplacés par des camions blancs, ceux des sous-traitants. Pour être embauché, nous nous rendons devant l'entrepôt. Trente minutes plus tard, un employé d’une entreprise sous-traitante se présente. Pas besoin de CV, l’entretien d’embauche dure deux minutes.
60 centimes d'euros par colis
Le lendemain, six heures du matin, j’arrive au centre de tri. Je reçois ma tenue, un scanner et on me met au travail. Je n’ai pourtant signé aucun contrat. J’ai environ 150 colis à livrer. Je vais travailler dix heures, sans aucune pause. Je comprends que je serai rémunéré 60 centimes par colis livré, ce qui est illégal.
Je dois travailler six jours sur sept, livrer en moyenne 2 500 colis par mois. Selon mon estimation à 60 centimes d’euros par colis, je gagnerai 1 500 euros net mensuel. Et l’entreprise sous-traitante qui m’emploie, combien gagne-t-elle ? Nous avons obtenu le contrat d’un autre sous-traitant, voici les conditions fixées par la Poste à ce prestataire : 1,47 euros par colis livré et en cas de retard de distribution, 4,36 euros de pénalité par jour et par colis.
153 colis à livrer dans la journée
Pour Thierry Lagoutte, syndicaliste SUD-PTT, livreur employé par la Poste, ces tarifs entraînent les mauvaises conditions de travail dans les entreprises sous-traitantes : "Les colis sont payés très très bas et donc si les sous-traitants veulent avoir un salaire correct et une masse financière suffisante, ils sont obligés de livrer beaucoup plus de colis."
Je continue ma vie de livreur. Il est 5 heures du matin, j’entame mon cinquième jour. Sur ma feuille de route, j’ai 153 colis à livrer. J’apprends que je ne serai pas rémunéré pour ces heures de travail. Mon employeur considère que je suis en formation. Elle devrait pourtant m’être payée. Et dans le centre de tri, je découvre que je ne suis pas le seul.
A plusieurs reprises, j’appelle le patron de l’entreprise sous-traitante qui m’emploie. Pas de réponse. Je parle de ma situation à un responsable du centre de tri de la Poste : "Vous, vous travaillez pour un prestataire de la Poste donc en fait votre patron c’est pas moi, moi je suis votre client. Votre paye, ça ne me concerne pas."
Je constate pourtant que la Poste a bien exercé à plusieurs reprises son autorité sur les employés des sous-traitants, en contrôlant leur travail, en leur donnant directement des consignes. En 2013, les liens entre les employés des sous-traitants et la Poste ont fait l’objet d’un rapport de l’inspection du travail. Elle souligne : "Nous avons pu constater la présence de plusieurs indices concordants susceptible de caractériser l’infraction de fourniture illégale de main d’oeuvre dans un but lucratif ainsi que le délit de marchandage".
Deux notions bien connues de Fiodor Rilov, avocat spécialisé en droit du travail :"Le recours à des entreprises de prestations de services pour en réalité diminuer le coût du travail et surtout échapper à sa responsabilité de patron en tant qu’employeur, est une méthode qui est d’ailleurs normalement interdite."
Nous avons sollicité la Poste sur ces questions, elle nous a fait parvenir ce mail : "La sous-traitance est indispensable dans ce secteur d’activité en raison de la grande variation des volumes de colis (...) La Poste veille à ce qu’elle soit organisée en parfaite application des règles légales".