Cadences infernales : le ras-le-bol des femmes de chambre

A l’hôtel, on ne les aperçoit qu’entre deux portes, au détour d’un couloir : les femmes de chambre. Leurs conditions de travail ? Elles dénoncent des cadences parfois infernales et des heures supplémentaires impayées. L’Œil du 20h a enquêté sur le quotidien de ces femmes qui travaillent dans l’ombre.

Porte de Clichy, au nord de Paris. Des sifflets et des percussions retentissent au milieu des voitures et des immeubles grisâtres. Les femmes de ménage de l’hôtel Holiday Inn, classé 4 étoiles, sont en grève depuis le 19 octobre. Comme tous les jours depuis le début du mouvement, elles se rassemblent devant les portes de l’établissement. Elles travaillent pour une entreprise sous-traitante, Héméra, qui gère le nettoyage pour l’établissement. «Là-bas on est comme des esclaves !», s’insurge Ahata Lowandjola, gouvernante en grève.

Quelles sont leurs conditions de travail ? Pour le savoir, nous avons passé une nuit dans cet hôtel. Le lendemain matin, nous retrouvons Nathalie*, femme de ménage, au moment où elle doit nettoyer notre chambre. Nous l’avons chronométrée. Changer les draps, laver la salle de bains, faire la poussière, passer l’aspirateur… Résultat : environ 24 minutes pour terminer la chambre. Elle n’a pas le choix, c’est la cadence imposée par le sous-traitant. La preuve : ce planning que nous nous sommes procurés. En une journée, l’employeur exige que les femmes de ménage nettoient 20 chambres en sept heures.

«Ils veulent que l’on nettoie 3 chambres par heure. Ce n’est pas possible, se plaint Nathalie. Ils s’en foutent, il faut que le travail soit fait, c’est ça qu’ils veulent. On n’est pas respectées, on n’est pas respectées…»

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Des heures supplémentaires impayées ?

Trois chambres par heure, est-ce la norme ? Pour comparer, nous sommes allés dans un autre hôtel de même standing, 4 étoiles, au cœur de la capitale. Savez-vous combien de temps il faut pour nettoyer une chambre ici ? «45 minutes-1 heure, pour qu’elle soit impeccable», affirme Maria Frances, gouvernante en chef de l’établissement. Une chambre par heure ici, contre trois à l’Holiday Inn.

Pour tenir ce rythme imposé par le sous-traitant, Nathalie, qui gagne à peine plus que le Smic, affirme qu’elle ne prend plus de pause, qu’elle n’a plus le temps de déjeuner, et qu’elle fait des heures supplémentaires, bien au-delà de son contrat de 7h par jour. «Parfois si je commence à 8h, je finis à 17h30, raconte-t-elle. Héméra ne paye pas les heures supplémentaires. Ils nous paient que le contrat, 7h c’est tout. Ce n’est pas normal.» Dans son contrat, il est bien indiqué : «Les heures supplémentaires éventuelles seront rémunérées avec les majorations légales.»

La direction de l’hôtel affirme qu’elle n’y est pour rien, que les femmes de ménage ne sont pas de sa responsabilité et renvoie vers le sous-traitant, l’employeur de Nathalie. Il rejette ses accusations. «Vous croyez qu’on gagne notre vie en piquant 2 heures à une femme de chambre ? En lui piquant les 10% ou les 25% de majoration ? C’est comme ça qu’une entreprise gagne sa vie ?, se défend Denis Schiavone, le PDG d’Héméra. Y’a pas à discuter. Ce que je mets en place dans mon entreprise, c’est moi qui le décide.»

« C’est de pire en pire »

11 femmes de chambre salariées d’Héméra viennent de saisir les prud’hommes, pour travail dissimulé. Une conséquence de la sous-traitance selon Florent Sinamian, conseiller prud’homal CGT. Un tiers des hôtels en France y ont recours. «Avec la sous-traitance, vous n’avez que les avantages, pas les ennuis. Vous ne payez pas le treizième mois à vos employés, vous ne leur payez pas de prime d’intéressement ni de prime de participation, énumère-t-il. Vous ne leur donnez pas des conditions de travail dignes. C’est de pire en pire.»

La sous-traitance est surtout répandue dans les grandes chaînes hôtelières. Cette semaine, devant leur Holiday Inn, les femmes de ménage entament leur deuxième mois de grève.

(* : le prénom a été modifié)

Publié par L’Œil du 20 heures / Catégories : Non classé