Le mot "colloque" vient du latin "colloquium" qui signifie "entrevue", "conversation". C'est donc à cette conversation qu'a participé France-Télévisions (france 2-france 3 représentés par Philippe Verdier et Florence Klein) pour une table ronde lors du 10e Forum International de la Météo jeudi 21 mars, et qui s'est déroulée cette année au palais d'Iéna.
Quelques mots, tout d'abord, sur ce forum. C'est en effet la 10e année qu'il est organisé par la Société Météorologique de France (SMF). Cette association a été fondée en 1852. Il y a un an, elle a changé de nom; elle s'appelle désormais Météo et Climats. Il faut noter qu'au XIXe siècle, on parlait, dans le jargon de l'époque, de "société savante". Les experts d'aujourd'hui sont donc les "savants" d'hier...
Alors, l'objectif de la SMF ? Il est simple. Elle souhaite "promouvoir et vulgariser les sciences de l'atmosphère et du climat par l'organisation de manifestations à destination des scientifiques, du public et des scolaires".
C'est dans le bel hémicycle du Conseil économique, social et environnemental, que prévisionnistes, industriels, chercheurs (et un historien !) sont venus débattre autour de la thématique suivante:
"Agir face aux risques météo-climatiques: outils et enjeux économiques à l'horizon 2030"
Mais d'abord, qu'entend-on par "risque" ? Tout ce qui est bon pour vous mettre en rogne et faire suer les gouvernements: sécheresse, inondation, submersion, tempête de neige, vent violent, verglas, canicule, vague de froid, orages violents... Bref, des mécaniques (du ciel) qui s'embrouillent et nous embrouillent.
Pour certaines de nos entreprises, il faut pouvoir et savoir gérer ces risques et si possible... anticiper. Ce que résume en une phrase Patrick Lagadec, directeur de recherche à l'école polytechnique: "il faut se préparer à être surpris". Et pourtant, on a souvent l'impression du contraire: on est surpris de ne pas être préparé (la dernière tempête de neige dans le nord en est un parfait exemple). C'est si vrai que l'on estime jusqu'à 30% la part du chiffre d'affaire d'une entreprise, qui peut être pénalisée par des accidents climatiques touchant directement (ou indirectement) ses activités !
Quatre représentants d'industries françaises étaient donc présents à cette table-ronde: Edf, Eiffage (groupe de bâtiments et travaux publics), Suez, et Dalkia (service énergétique). Chacun des intervenants ont partagé leurs expériences de gestion de ce "risque climatique", à commencer par l'entreprise Suez.
Une partie de ses activités est dédiée au traitement des eaux. Or, en janvier dernier, des pluies diluviennes s'abattent sur Santiago du Chili, ville où Suez se trouve implantée depuis plusieurs années. Conséquences ? Les eaux qui descendaient de la cordillère des Andes étaient chargées en boue. Un événement météo qui a nécessité une réaction rapide des dirigeants afin d'éviter toute coupure d'eau pour les clients de la région...
Face à ces aléas naturels, les grandes firmes ont besoin d'an-ti-ci-per ! Edf, Eiffage, Suez et Dalkia essayent de gérer ce "risque" le mieux possible. Comment ? En travaillant par exemple avec les modèles météo de Météo France qui leur permettent d'évaluer les risques climatiques locaux. En partant de cette base, l'entreprise construit des scénarii afin de prévenir toute situation potentielle de crise, comme le problème des eaux boueuses. Mais à chaque domaine d'activité, son risque climatique. S'il s'agit de l'eau pour Suez, pour Dalkia, filiale de Véolia, tout est une question de température. Et pas question d'avoir des sueurs froides...
Spécialisée dans les services énergétiques, Dalkia est censée n'avoir ni (trop) chaud ni (trop) froid quelque soit la saison. Quoique... Son activité réagit aussi aux aléas météorologiques. C'est pourquoi, selon l'intensité de la froidure, Dalkia peut rallumer une chaudière à charbon, à gaz voire... à fioul. Les ingénieurs doivent donc prévoir ce risque... grâce encore aux modélisations de Météo France. Autre exemple ? Les réseaux de climatisation de certains immeubles du quartier de la Défense à Paris produisent de la chaleur. Il faut donc refroidir les systèmes. Comment ? Grâce à l'eau de la Seine pardi ! Oui, certes. Mais quand l'eau du fleuve est à 29°, comme lors de l'été 2003 ("année de la canicule"), que faire ? Toujours l'an-ti-ci-pa-tion mon bon monsieur. Mieux vaut donc rester en contact avec les ingénieurs de Météo France pour pressentir, le plus longtemps à l'avance possible, une période caniculaire susceptible à terme de perturber l'activité de Delkia.
Pour Edf, la canicule de 2003 fut "un élément structurant" (sic). Comprendre: on en a bien sué et on sait à quoi l'on peut être soumis comme risque météo (et économique) en cas de canicule durable.
Ces quelques exemples nous permettent donc de mieux comprendre comment le risque météo pèse sur des enjeux économiques, et de sécurité. Il s'agit de gérer le mieux possible ce risque par l'anticipation voire l'adaptation.
Solutions "durables", idées bétons... Tout coule de sources ?
Face à ces aléas météo, les idées vont bon train pour trouver des solutions dites "durables" (l'une des illustrations du fameux "développement durable", pour lequel on nous serine les oreilles régulièrement...). Mais derrière le slogan, l'idée est assez simple. Pour des entreprises comme Edf, Eiffage, Dalkia ou Suez, il s'agit de développer son activité tout en prenant en compte la contrainte climatique. Que ce soit une variation forte des températures ou des débits de rivières, nos quatre entreprises invitées à cette table ronde doivent s'adapter.
Pour Edf, un degré de moins en moyenne, nous dit-on, c'est la mise en route de deux réacteurs nucléaires. Elle travaille aussi en partenariat avec Météo France sur des prévisions très locales pour gérer l'hydrologie des bassins versants.
Chez Suez, on réfléchit, lors de très graves sécheresses, à la mise en place d'usines de dessalement comme ce fut le cas à Barcelone il y a quelques années. L'entreprise travaille aussi de plus en plus sur le local et tente, par exemple, de modéliser l'écoulement souterrains et l'évolution des débits de rivières. Pour cela, elle fait appel aux savoirs-faire de Météo France qui leur apporte des données brutes. Exemple: les radars de pluies qui indiquent en temps réel le déplacement et l'évolution des précipitations, à l'échelle départementale, régionale ou nationale.
Enfin, Eiffage est persuadé que le métier sur les chantiers évoluera d'ici 2030, en fonction de l'évolution des températures. Cas pratique ? L'hiver a été très froid, donc utilisation du sel à go-go sur les grands axes routiers: dans quel état se trouveront les routes au printemps et devront-elles être refaites ? Autrement dit, comment mieux gérer le système routier ? Bref, la route est droite mais la pente encore un peu raide...
Et le politique dans tout ça ?
Toutes ces entreprises sont bien conscientes qu'elles ne peuvent agir indépendamment de l'activité de leur concurrent. Et, aujourd'hui, il faut savoir jouer sur plusieurs variables: le problème des émissions de CO2, les réserves de combustibles, l'environnement économique, les caprices du temps, etc.
Beaucoup d'informations à gérer qui demandent, comme le souligne le représentant de Suez, l'"intervention de l'autorité politique". Malheureusement, nous n'en saurons pas beaucoup plus car Jean-Paul Huchon, invité pourtant au colloque, n'a pas manifesté sa présence. Certainement un emploi du temps surchargé...
Le Canard enneigé
Patrick Lagadec, du laboratoire d'économétrie et de l'école polytechnique, a souligné durant son intervention à la tribune, la nécessité d'adapter les "alertes" aux différents types de crises météo, selon la nature du danger et le degré de sécurité nécessaire pour les usagers. Que ne trouve-t-on pas dans un article du "Canard Enchaîné" de cette semaine titré "Des flocons post-Fukushima" ? L'illustration parfaite des propos de notre orateur. En effet, comme nous le savons, la forte tempête de neige qui s'est abattue sur le Cotentin le 11 et 12 mars dernier, a paralysé une bonne partie du système routier du département dont... ceux menants à l'usine Areva. Et, dans le cas où les axes routiers seraient de nouveau bloqués, un jour, à cause de la neige, un représentant local pose cette question au journal: "Que se passerait-il en cas d'incident nucléaire au sein des installations d'Areva ou de la centrale d'Edf de Flammanville toute proche ?".
Ah, si l'homme pouvait contrôler le climat on ne se torturait pas l'esprit de cette manière !
Plusieurs présentateurs et présentatrices météo des chaînes françaises étaient présents à ce colloque. Ci-dessous de gauche à droite: Joël Collado (Radio-France), Evelyne Dhéliat, Anaïs Baydemir, Philippe Verdier, Fabienne Amiach, Catherine Laborde.