Ce blog est en sursis

Ce blog est en sursis. D'accord, j'ai déjà fait mon coming-out : je ne suis plus tout à fait une mauvaise mère. Mais ce blog est en danger pour une autre raison. Le temps qui passe et qui fait grandir mes enfants. Alors qu'hier mon fils était encore ce bébé glouton qui me réveillait à 6 heures du matin et vomissait dès qu'il toussait, c'est aujourd'hui un joli petit garçon à lunettes qui a appris à lire et est obsédé par le jeu Angry Bird Star Wars (oui, un esprit maléfique et mercantile a pensé à réunir les deux EVIDEMMENT).

Déjà, je suis obligée d'expliquer à mon enfant pourquoi je passe plus de temps que lui devant un écran ("Pourtant maman, tu me dis que les écrans, ça rend le cerveau liquide non ?"). Bientôt, il sera en mesure de déchiffrer ce que j'écris sur lui. Et, dans trois ans, il googlisera mon nom et découvrira que j'ai tenté de m'enrichir en riant de lui dans un livre ou deux (et qu'en plus, j'ai lamentablement échoué à gagner beaucoup d'argent). Que se passera-t-il à ce moment-là ? Benoît, un lecteur adepte du site jeuxvideo.com, m'avait écrit il y a quelque temps pour me le demander :

"Comment pensez-vous qu'ils vont prendre tout ce que vous pouvez écrire sur eux et sur les enfants en général ? Ils vont finir par grandir suffisamment pour aller sur internet seuls et donc voir que leur mère, et aussi leur père dans une moindre mesure, ont admis aimer moins leurs enfants quelques fois et qu'ils ont été exaspérants dans certains cas. Selon le moment où ils vont le découvrir, cela pourrait être relativement terrible pour eux, non ?"

Terrible angoisse. Il est certain qu'un jour mes enfants passeront au crible toutes les notes que j'ai écrites sur eux. Il faudra peut-être que je supprime ce blog pour éviter de leur faire trop de peine, une vanne au second degré n'étant pas toujours très accessible aux moins de 18 ans (y'a qu'à me voir aujourd'hui, j'ai encore beaucoup de mal à comprendre). J'imagine la prise de tête au repas du soir en mode : "Comment as-tu pu écrire que je me perçais les boutons !" En imaginant qu'il y ait encore des repas du soir. Sans parler des potes qui vont débusquer l'anecdote de ses 2 ans et demi pour le couvrir de honte.

Récemment, mon boss me demandait si je connaissais des blogs de maman d'ado, et je me suis rendu compte que je n'en avais jamais entendu parler. Certainement parce que je n'en suis pas encore à ce stade. Mais aussi... Va raconter la vie de tes mômes alors qu'ils sont en mesure de stalker tes faits et gestes en ligne, voire de hacker tes comptes.

C'est donc une certitude, ce blog est en sursis. Un jour prochain, pas encore daté, je devrai cesser d'écrire pour ne pas les empêcher de vivre leur propre vie. Dans l'idéal il faudra aussi que je supprime ce que j'ai déjà écrit.

Adolescente, j'ai eu un journal intime. J'ai, dans un carton, une dizaine de cahiers qui racontent mon émoi en croisant un certain garçon dans les couloirs du collège, mes disputes avec mes copines, la première fois que j'ai fait le mur, les livres que j'ai préférés, le jour de mon dépucelage ou ma dérive après m'être fait larguer. J'y ai disséqué mon quotidien pour tenter de le comprendre, de le dépasser aussi, et enfin de m'en souvenir sans mensonge.

Alors, au fond de moi, je ne peux pas m'empêcher d'espérer que mes enfants se foutent de mon blog, puis qu'ils comprennent que ce journal pas très intime est la chronique d'un long et passionnant apprentissage de mon rôle de mère. De la façon dont j'ai tenté de comprendre cette nouvelle identité, de la dépasser et de m'en souvenir.