Et si on avait échangé mon bébé à la maternité?

Sophie et Manon (?) à la maternité. / Capture d'écran de TF1

Mon fils adore que je lui raconte mon accouchement. Pas la similitude entre un placenta et le foie de veau, évidemment. Mais je lui parle de la façon dont il est venu se blottir dans mon cou et à continuer à pousser sur ses petites jambes, comme s'il était décidé à se rendre quelque part (retourner quelque part ?). Un brin suractif déjà. Et puis, il a un immense sourire quand je lui raconte qu'une fois seule dans ma chambre (si on omet l'autre maman et son bébé), à une heure du matin, j'ai passé des heures à le regarder malgré la fatigue. Je lui raconte que je n'en revenais pas d'être la créatrice d'un être humain. Je le regardais dormir en me répétant mentalement que mon mec et moi, on avait fait un enfant, un truc de dingue. Une phrase qu'on prononce à l'envi sans trop y penser, il me semblait que, pour la première fois, je prenais pleinement conscience de son sens. J'avais fait un enfant.

Trous d'air

Fascination, vertige, angoisse. La maternité est un endroit où les émotions sont comme un vol long courrier, on plane très haut, mais il y a des sacrés trous d'air. A l'enthousiasme presque hystérique succède une peur panique. Mon bébé, je le regarde, je le scrute, je grave chacun de ses traits dans mon cerveau. Je ne le connais que depuis trois heures et si je m'endors maintenant, qui me dit que je le reconnaîtrais demain ? Imaginons que je le pose sur la mauvaise paillasse après le bain, est-ce que je saurai quel bébé est le mien entre deux nouveaux-nés fripés ?

Ma fille à 0 jour © Emma Defaud

Ma fille à 0 jour. Contrairement à Manon, on lui a mis un bracelet de naissance © Emma Defaud

Ce sont ces sentiments qui ont ressurgi quand j'ai lu l'histoire de Manon et de sa mère Sophie. Quand elle a eu dix ans, Manon a découvert qu'elle n'était pas la fille de ses parents. Une sage-femme a inversé les bébés après une exposition sous lampes pour cause de jaunisse quelques jours après sa naissance. Oups.

Le pire, c'est que Sophie a constaté un changement en récupérant le nourrisson qui va devenir sa fille. "J'ai vu une différence, elle avait plus de cheveux. J'ai posé la question, je me suis sentie un peu bête, mais on m'a tout de suite rassurée en m'expliquant que les rayons avaient fait pousser les cheveux." Parce que si la maternité est un vol long courrier, les sages-femmes sont des hôtesses de l'air auxquelles on s'en remet complètement.

Bouées de sauvetage

Depuis deux jours et la réapparition de cette histoire dans les médias, je repense à tous les sentiments contradictoires qui m'ont assaillie. Les sages-femmes étaient mes bouées de sauvetage, moi qui n'avais tenu un bébé qu'une fois dans mes bras avant d'accoucher. Comment on donne le bain ? Comment on donne le sein ? Quand la dame manquait un peu de tact dans son explication, j'avais l'impression que je n'avais rien à faire ici, que j'aurais dû savoir avant. Je crois que la première fois que j'ai eu le sentiment d'être une mauvaise mère date de ces moments-là, en fait.

Alors, je m'imagine bien dire : "Vraiment, vous êtes sure que c'est mon bébé?" à une pro. A quel moment aurais-je cessé d'être insistante ? Comment aurais-je vécu avec le malaise de voir mon enfant grandir et devenir très différent de moi ? Sophie, qui a élevé Manon, a dû avoir l'impression d'avoir failli dans l'essence même de son rôle : reconnaître les siens, les protéger. Je pense aux moqueries qu'elle a subies pendant dix ans sur celle qui semblait être la fille du facteur. Et quand l'incident de la maternité a été connu, j'imagine toutes les voisines qui ont dû encore dire : "Comment peut-on ne pas reconnaître son bébé ?" Pourtant, y a-t-il un endroit où on est plus fragile qu'à la maternité ?

Publié par Emma Defaud / Catégories : Actu