Cours maman, cours...

Run Forest, run!

Je mets 30 minutes pour me rendre au travail. Si je cours un peu. Donc je cours toujours un peu. Depuis que je suis maman, plus que la tache de lait caillé ou les cernes des nuits blanches, c'est devenu un trait de ma personnalité. Certains rient fort, d'autres boivent café sur café, moi, je suis - une collègue l'a dit un jour - "celle qui court toujours". Je cours avant de prendre le métro, je cours dans la station de ma correspondance, sur le trottoir devant le bureau, pour aller de mon bureau aux toilettes (quand je bosse le week-end, je vais aux toilettes des hommes, qui sont plus près), quand je vais m'acheter un Coca à la machine, quand je rentre le soir. Je cours même de temps en temps avec la poussette sur le chemin de l'école, mais mes enfants détestent ça. Ce qui rend l'opération assez contre-productive.

J'ai aussi tout un tas de variantes qui me permettent de dissimuler assez bien ma course permanente, histoire de garder ma dignité. Je trottine en talons hauts, je marche en grandes enjambées de Parisienne, je choisis la petite foulée sur les longues distances, je slalome entre les gens trop lents - les vieux, les mamans avec poussette, les touristes qui, phénomène totalement absurde, se "baladent". Bref je me tortille pour doubler la foule sans pourtant parvenir à aller plus vite qu'elle. J'avoue, dans ce dernier cas de figure, je perds toute ma dignité.

Au début, ça me plaisait bien, cette sensation de grappiller des secondes de vie si inutilement perdues. Et j'ai un certain plaisir à piquer un sprint pour me rendre à la machine à sodas. C'est un peu ma minute bien-dans-mon-corps dans une vie totalement désertée par le sport. Donc, j'aime bien. Sauf quand je tombe nez à nez avec la grande chef, le souffle court et les joues encore roses. Là forcément, c'est un peu la honte, surtout après son petit sourire 50% condescendant 100% perplexe.

Monter l'escalier quatre à quatre aussi, c'est un plaisir. Quand enceinte, on s'est hissée essoufflée et transpirante sur le marche-pied d'un bus, on trouve ça formidable de monter les escaliers quatre à quatre. Avec un bébé dans le bide, monter trois marches, c'était faire le Kilimandjaro. J'ai d'ailleurs ressenti beaucoup d'empathie dans Kung Fu Panda quand le héros et sa bedaine tentent leur ascension vers le temple. Et régulièrement, à la sortie du métro, je savoure de ne pas être à bout de souffle et pense très fort: "Quel bonheur de ne pas être enceinte". DE NE PLUS JAMAIS ETRE ENCEINTE.

Pourtant ces derniers temps, en m'observant, je pensais plus souvent à Forrest Gump qu'à Marie-Jo Perec. Faudrait-il que je me calme? Mais comment mettre "pause" et être sure de pouvoir réappuyer sur "play"? J'avais un peu peur d'avoir les jambes coupées. Et vu tout ce que j'avais à faire, j'allais quand même sacrément dans la merde si je ne pouvais plus courir. De toute façon, je n'arrivais pas à m'arrêter.

Alors, j'ai recommencé à fumer. Ça fait une bonne raison de lâcher l'ordi pour aller respirer les gaz d'échappement en plus de la nicotine. Désormais je fais des pauses. Ce n'est pas si grave d'arriver un quart d'heure plus tard à l'école. Et après le dîner, je laisse les enfants au papa pour fumer une clope derrière le double-vitrage qui me protège opportunément des cris de ma douce progéniture. Il ne s'agit pas de dépendance mais d'indépendance. La clope me libère de mes contraintes. Et de toute façon, courir en fumant, ça m'essouffle.