Mariage des homos : vers une loi essentiellement symbolique ?

(NOEL CELIS / AFP)

Le projet de loi "mariage et adoption pour tous" est-il déjà prêt ? Alors que le texte doit être présenté fin octobre en Conseil des ministres, un avant-projet (document PDF) est publié samedi 22 septembre par l'hebdomadaire La Vie. Une fuite qui a pris de court les associations de défense des droits des homos. Qu'y a-t-il dans ce texte ? Est-ce une version définitive ? Comment analyser cette fuite ? Explications.

Ce qu'il contient

Comme prévu, le texte ouvre la voie au mariage pour les couples de même sexe, via l'article 143 du code civil, rédigé ainsi : "Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe."  Cet avant-projet instaure aussi le droit à l'adoption pour les couples homos qui seront mariés (adoption simple ou plénière). Le texte précise qu'en cas d'adoption les parents de l'enfant devront se mettre d'accord sur le nom de famille accordé à l'enfant. Si l'enfant porte les noms de famille des deux parents, ces derniers devront se mettre d'accord sur l'ordre des noms, auquel cas, c'est l'ordre alphabétique qui tranchera. Enfin, toutes les références du code civil à des sexes différents sont gommées, l'"homme" et la "femme", le "père" et la "mère" deviennent "époux" et "parents".

Ce qu'il ne contient pas

Promesse de campagne de François Hollande, l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA, c'est-à-dire l'insémination artificielle ou la fécondation in vitro) ne figure pas le document. Il s'agit pourtant d'une revendication forte des associations LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans). L'avant-projet ne contient pas non plus de référence aux questions de filiation. Actuellement, quand un enfant naît dans un couple marié, le mari est considéré par la loi comme étant le père, c'est ce que l'on appelle la présomption de paternité. Les assos homoparentales demandaient à ce que cette présomption de paternité deviennent une présomption de parenté, ce n'est pas le cas dans ce texte. Ce qui complique la reconnaissance des liens de filiation. Exemple : un couple de lesbiennes a eu recours à une PMA à l'étranger. En France, seule la mère biologique est reconnue. Pour pouvoir exercer ses droits, la mère "sociale" devra épouser la mère biologique et faire une demande d'adoption de l'enfant. L'avant-projet ne prévoit aucune réflexion sur les familles fondées en-dehors du cadre strict du mariage. Quid l'adoption par les couples pacsés ou en concubinage ?

Et des questions en suspens

Quelle crédibilité pour ce texte ? Ebauche du projet, avant-projet, brouillon, texte définitif... Quel statut accorder au texte publié par La Vie ? On peut penser qu'il ne s'agit pas de la version définitive de la loi mais bien d'un brouillon. En témoigne cette faute qui figure dans l'exposé des motifs : "Une nouvelle étape paraît doit donc être franchie". Mais on peut aussi se dire que le texte est conforme aux annonces faites par la ministre de la Justice, Christiane Taubira, dans une interview à La Croix, publiée le 10 septembre. La ministre y annonçait l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples homos mais elle précisait que "l'accès à la PMA ne rentre pas dans le périmètre" de la loi. "Le projet de loi ne prévoit pas d'équivalent à la présomption de paternité qui existe aujourd'hui au sein des couples mariés", prévenait-elle aussi.

Qui a intérêt à faire fuiter le texte ? La question se pose car les auditions des associations à la Chancellerie et au ministère délégué à la Famille ne sont pas terminées. Officiellement, le gouvernement est encore en phase d'écoute et son projet est en cours de rédaction. Le texte doit être présenté au Conseil des ministres dans un peu plus d'un mois, le 31 octobre. Au ministère de la Justice et à celui de la famille, c'est silence radio ou presque. On se contente de déplorer la fuite d'un document qui n'avait pas vocation à être diffusé et qu'il ne s'agit que d'un scénario parmi d'autres...

Pourquoi communiquer dans la presse catholique ? Les contours de la loi ont été dévoilés dans La Croix, l'avant-projet a été publié par La Vie. Deux médias catholiques. Rappelons que les catholiques pratiquants constituent l'une des catégories de la population les plus réfractaires au sujet. Si dans le premier cas, il s'agit d'un choix délibéré de la ministre de la Justice, dans le second, on peut s'interroger. Mais cela irrite au plus haut point les assos LGBT qui déplorent une intrusion du religieux dans un débat qui devrait être, à leurs yeux, strictement laïc.

Quelle est la stratégie du gouvernement ? Si ce texte correspond à celui qui sera porté par le gouvernement, il s'agirait d'un choix "sans risque". Les mesures symboliques (mariage et adoption) y sont, la PMA ou les questions de filiation (beaucoup plus clivantes) étant écartées, le gouvernement pourrait ainsi faire passer son texte au Parlement en s'appuyant sur une large majorité. Autre hypothèse : le gouvernement compte sur les amendements des parlementaires pour étoffer le texte. Bernard Roman (député PS) et Esther Benbassa (sénatrice Europe Ecologie-Les Verts) se sont déjà engagés à présenter des amendements ouvrant l'accès à la PMA. Autre solution : remettre ces questions à plus tard, notamment lors d'états généraux de la famille qui seraient l'occasion d'un toilettage du droit de la famille. Pour Nicolas Gougain, porte-parole de l'Inter-LGBT, si cet avant-projet devait être conservé en l'état, "nous aurions alors une loi a minima qui ne va pas au bout de la logique d'égalité". Il redoute un "enterrement pur et simple des questions de la PMA et des questions de filiations" même si "les derniers arbitrages n'ont pas encore été rendus".