Une fédération sous tutelle, des enquêtes en cours, l'ancien maire socialiste d'Hénin-Beaumont Gérard Dalongeville mis en examen pour détournement de fonds et corruption... Il y a quelque chose de vicié dans l'ancien royaume socialiste du Pas-de-Calais. Avec, en embuscade, un Front national qui s'enracine et pourrait, selon l'Ifop, gagner 21 villes dans la région aux municipales de 2014.
Après un scoop publié fin 2011 dans Les Inrocks (Nord-Pas-de-Calais : la bombe judiciaire qui menace le PS), les deux journalistes Benoît Collombat et David Servenay reviennent dans La Fédé. Comment les socialistes ont perdu le Nord (Seuil) sur cette fédération gangrenée du Pas-de-Calais. Une manière, nous a expliqué David Servenay, d'"exercer un droit de suite".
Incendies suspects, marchés douteux, menaces physiques, corruption, clientélisme, népotisme : ce "droit de suite" égrène les turpitudes de quelques élus socialistes, désormais aux prises avec la justice. Sur trois cents pages et en trois axes, il retrace :
Le sentiment d'impunité d'une fédé trop puissante
Qui t'a fait roi ? Ni François Hollande ni Martine Aubry qui se sont succédé comme premiers secrétaires rue de Solferino, n'ignoraient les travers de la fédération socialiste du Pas-de-Calais.
Mais "le problème pour le PS, c'est que la fédération du Pas-de-Calais est la plus importante de toutes. Elle représente 12% des militants", notait déjà Le Point en 2008 (La loi des caïds), avant de s'attarder sur un mystère. Dans le département, "jamais le nombre de cartes ne varie. Bon an mal an, il fluctue autour de 15.000, ce qui en fait la première fédération de France".
Des cartes d'adhésion douteuses et des opérations de vote moins fiables encore. L'ouvrage rappelle qu'en 2008, pour la direction du parti, Martine Aubry ne l'avait emporté que de 102 voix sur sa rivale Ségolène Royal au terme d'un vote contesté.
Urnes multiples, taux d'adhésion étonnamment élevés par endroits, mainmise sur l'appareil... Marie-Noëlle Lienemann avait raconté à Arrêts sur images l'ambiance dans le Pas-de-Calais : "Les gens vous traitent de salope parce que vous êtes en train de vérifier que la liste des votants est conforme à la liste nationale".
Comme d'autres, l'ancienne secrétaire d'Etat au logement tenta en vain d'alerter Solférino sur les bourrages d'urnes pratiqués à 200 kilomètres de Paris. "Pendant longtemps, résume David Servenay, qui multiplie les exemples, ça n’a servi à rien, ni au niveau local, ni au niveau de Solférino : les dénonciateurs du système sont devenus des moutons noirs". L'avenir leur aura donné raison, mais l'addition politique risque d'être lourde.
La chute des barons socialistes
Le succès en février 2012 de Rose mafia, signé Gérard Dalongeville et épuisé en quelques heures dans le bassin minier, l'atteste. Poursuivi pour corruption, l'ex-maire socialiste de Hénin-Beaumont met en cause le "système" Kucheida, du nom du maire de Liévin.
La Fédé revient longuement sur le mélange des genres de celui qui fut député socialiste pendant presque trente ans. Car Jean-Pierre Kucheida a dirigé jusqu'en septembre 2012 l'Epinorpa (Etablissement public de gestion immobilière du Nord-Pas-de-Calais). Autant dire le premier bailleur de la région, avec un parc de 62.000 logements.
A la tête de cette holding du Nord-Pas-de-Calais, le maire de Liévin avait, auprès des entreprises comme des électeurs, un pouvoir considérable.
Trop considérable ? Les deux journalistes pointent une comptabilité opaque, des achats de terrain douteux, des marchés passés sans appels d'offres. Mais ce contrôle du logement social, soulignent-ils aussi, lui a acquis la reconnaissance de maints habitants. Jusqu'en juin 2012, Jean-Pierre Kucheida semblait indéboulonnable . Avant que sa candidature dissidente - il n'a pas été réinvesti par le Parti socialiste- ne soit balayée dès le premier tour.
Le FN en embuscade
Le Parti socialiste sait désormais que le verrouillage et parfois la corruption de responsables socialistes locaux a laissé des traces.
Benoît Collombat et David Servenay exhument une note secrète de la fédération PS du Nord datée de juin 2010, au lendemain des régionales. Les analystes du PS y font ce cruel constat : "premier parti des électeurs", le FN "est solidement implanté en Nord-Pas-de-Calais, aujourd'hui un de ses bastions" et "la situation du bassin minier du Pas-de-Calais est porteuse de nombreuses questions pour l'avenir".
A une exception près, le Parti socialiste (ou son allié radical de gauche) l'a emporté, aux dernières législatives, dans toutes les circonscriptions du Pas-de-Calais. Une victoire en trompe l'oeil ? Il n'a manqué à Marine le Pen, pour qu'elle soit élue députée du département, que 118 voix.
La Fédé. Comment les socialistes ont perdu le Nord (Benoît Collombat, David Servenay, Seuil, 19,50 euros)