Le général Videla, qui est mort le 17 mai à Buenos-Aires, avait dirigé l'Argentine de 1976 à 1981, pendant cinq années de dictature sanglante.
"Rien qu'en Argentine, durant sept ans (1976-1983), la dictature a fait 30.000 morts et disparus. Des centaines de milliers de personnes ont été emprisonnées sans autre forme de procès", notait France Info en mars dernier, lors de l'ouverture du procès Condor, ce pacte qui visait à éliminer les opposants à toutes les dictatures militaires d'Amérique du Sud, dans les années 1970-1980.
"Alors elles se sont mises à tourner, enroulées dans des foulards blancs"
Malgré la terreur généralisée, quatorze femmes, comme le rappelle Ségolène Royal dans son dernier livre, Cette belle idée du courage, se sont publiquement élevées, dès le début, contre le pouvoir en place :
"Tout a commencé en 1976, un vendredi où le pouvoir n'avait pas voulu recevoir la quinzaine de mères demandant des comptes au Président Videla pour leurs fils disparu...Refoulées, insultées, expulsées, elles se sont retrouvées, femmes bafouées, sur la place de Mai. Il y avait à leur tête, Azucena Villaflor qui, par la suite, fut enlevée et disparut. Il y avait treize autres femmes, dont deux encore furent kidnappées par la junte. Il y avait donc quatorze Antigone modernes ... Alors elles se sont mises à tourner, enroulées dans des foulards blancs, les langes de leurs enfants disparus, ou abattus dans un fossé sanglant...
Tous les jeudis, depuis ce jour de 1976, ces mères de la place de Mai ont donc tourné pour dire combien l'injustice, le silence, la dictature étaient insupportables. Ces "folles de Mai" comme les surnommèrent avec mépris les militaires ne se sont, depuis, jamais arrêtées".
En effet, elles ne se sont jamais arrêtées. Une fois la démocratie rétablie (en 1983, après la défaite des généraux argentins dans la guerre des Malouines), le combat s'est poursuivi.
Non seulement celui des mères pour retrouver leurs fils ou leurs filles, mais celui des grands-mères réclamant la lumière sur le sort des enfants enlevés par la dictature, et souvent confiés à des proches du pouvoir.
"Les Grands-Mères se battraient jusqu'à leur dernier souffle"
Ces "grands-mères de la place de Mai" tiennent une place de choix dans Mapuche, le dernier thriller du romancier Caryl Férey. Si le roman évoque largement les Indiens mapuches, cette population autochtone quasi-exterminée par les colonisateurs, son intrigue s'inscrit dans les séquelles de la "sale guerre" argentine, de la recherche des disparus et des enfants volés, à l'aide de tests ADN, si nécessaire.
Le héros du libre, Ruben, explique François Busnel dans L'Express, "est l'un des rares prisonniers à avoir été relâché par ses bourreaux. Il a vu son père et sa soeur mourir sous ses yeux. Depuis, il travaille comme détective pour les Grand-Mères de la place de Mai, ces femmes qui, depuis trente ans, continuent de réclamer des comptes sur la disparition arbitraire de leur époux, de leurs enfants, de leurs parents."
"Les Grands-Mères, écrit Caryl Férey, se battraient jusqu'à leur dernier souffle, sans esprit de vengeance, mais sans pardon, ni oubli. "Ils ont peut-être réussi à tuer nos maris et nos enfants, mais ils n'ont pas réussi à tuer notre amour", répétaient-elles."
Dans ce roman violent et haletant qui a décroché plusieurs prix littéraires, la junte, on s'en doute, ne tient pas le beau rôle. Mais le livre, qui se dévore, a le mérite de remettre en mémoire une page d'horreur de l'histoire argentine. Et de rappeler que la Coupe du monde de foot 1978, gagnée par l'Argentine, se déroulait à Buenos-Aires à deux pas de la sinistre Ecole de la marine argentine (ESMA), où les prisonniers torturés entendirent les clameurs de victoire.
-> Cette belle idée du courage, Ségolène Royal (Grasset)
-> Mapuche de Caryl Férey (Gallimard).
Caryl Férey est également l'auteur d'un autre polar fortement recommandable, Zulu (Folio policier), dont l'adaptation au cinéma clôturera le festival de Cannes.