Catherine Clément fut chargée de l'organisation de l'année de l'Inde en France en 1985-1986. Comme compagne de l'ambassadeur français André Lewin, elle y vécut de 1987 à 1991, puis y retourna souvent. L'ancienne colonie britannique a d'ailleurs inspiré plusieurs best-sellers (Pour l'amour de l'Inde, La Reine des cipayes ...) à cette philosophe et romancière.
On s'en souvient, la visite précipitée de Nicolas Sarkozy en Inde, en 2008, avait suscité quelques remous. Nous avons donc demandé à Catherine Clément, grande connaisseuse du pays, un petit code des bons usages à l'intention de François Hollande… ou d'autres voyageurs.
Quels sont les impairs à ne pas commettre en Inde ?
Catherine Clément : Ne pas demander de bifteck ! Même si c'est une question qui ne se pose pas, puisque tout sera absolument cadré pour le président de la République française. Quand il arrive, il n'a plus qu'à suivre le déroulé prévu. Il n'y aura pas d'alcool ni de bœuf lors des réceptions, pas de risque d'erreur !
Mais lors de l'organisation de l'année de l'Inde à Paris, j'avais quand même vu arriver à la table de Jack Lang, alors ministre de la Culture, une tête de veau pour mon homologue indienne qui s'occupait de la manifestation. On s'est étouffé, ç'a été dramatique, Jack Lang a dû l'emmener à la grotte de Lascaux pour se faire pardonner ça.
Autre faute à éviter : si quelqu'un se présente mains jointes et que vous voulez lui serrer la main à toutes forces, c'est un impair. C'est beaucoup mieux de saluer à l'indienne, mains jointes devant la poitrine. Pour une femme, il ne faut pas montrer ses jambes, mais porter des jupes à la cheville ou longues, ou des pantalons.
Enfin, quand on arrive au Raj Ghat, sur la stèle où a été brûlé le Mahatma Gandhi, on se déchausse. Tout le monde le fait, donc François Hollande va le faire aussi. On se déchausse d'ailleurs souvent en Inde, on se déchausse même dans les églises chrétiennes.
A l'inverse, comment faut-il se conduire ? Qu'est-ce qui est bien perçu ?
Tout ce qui est sourire, expressivité, émotion, ça fait toujours mouche. On peut même se montrer parfois ombrageux sans que cela heurte. Ce qui est mal perçu, c'est l'indifférence souriante que stipule par exemple le code de politesse japonais.
Y a-t-il des sujets tabous ?
Ça dépend du camp politique. Mais le Premier ministre indien, Manmohan Singh, par exemple, est très capable d'évoquer le "fœticide indien" [l'élimination des fœtus de sexe féminin] et il s'en préoccupe au premier chef. L'homosexualité est encore un sujet tabou. La loi pénale sur l'homosexualité n'est toujours pas abrogée, même si elle est mise dans un coin. C'est encore un sujet très refoulé en Inde, me dit mon ami le psychanalyste Sudhir Kakar.
A éviter aussi, le mot 'intouchable', qui fait hurler les Indiens. Un mot nouveau a été inventé : 'dalit', mais il recouvre une notion différente, plus large. C'est un mot qui désigne et rassemble tous les pauvres.
Enfin, c'est un pays où on ne parle pas trop de sexe non plus, même s'il faut tenir compte de la différence de culture entre les villes. Delhi est une ville très mélangée, c'est la ville administrative. Bombay, c'est la grande ville du commerce, et Calcutta, la ville intellectuelle, universitaire, avec un quartier entier de librairies. Mais François Hollande, je crois, n'ira pas à Calcutta...
-> Plusieurs livres de Catherine Clément sont consacrés à l'Inde. On peut citer le dernier en date, La Reine des cipayes (Seuil), qui a pour héroïne une sorte de Jeanne d'Arc indienne qui combattit l'occupant britannique au XIXe siècle, mais aussi Pour l'amour de l'Inde (Poche), vision romancée des tumultueuses amours entre l''épouse de Lady Mountbatten, Edwina, et Nehru, un des héros de l'indépendance indienne. On peut enfin lire sa passionnante autobiographie, Mémoire, où elle raconte ses années passées à New Delhi.