Cécile Duflot publie lundi 25 août De l'intérieur. Voyage au pays de la désillusion, livre cinglant sur son expérience ministérielle dans le gouvernement Ayrault. Le Nouvel Observateur en publie jeudi les bonnes feuilles, mais la lecture complète vaut le détour.
"J'ai voté Hollande, cru en lui, et été déçue", assène l'ex-ministre EELV du Logement, qui a refusé de participer au gouvernement Valls. Quels sont les ressorts de cette déception?
Les reniements
Cécile Duflot dit avoir espéré, en vain, un tournant à gauche, qui n'a pas eu lieu. Et qui n'aura pas lieu : "le quinquennat sera d'un seul tenant, sans phase redistributive".
Voilà qui est contraire à sa "boussole" politique : "n'oublie jamais qui t'a élue, pourquoi et pourquoi faire. Or pour moi, François Hollande a oublié ceux qui l'ont porté à l'Elysée, a peu à peu tourné le dos à l'aspiration à plus d'égalité et de justice sociale qui a entraîné son élection et n'a pas tenu ses engagements".
Et de citer, parmi les promesses non tenues, l'absence de renégociation du traité TSCG (qui renforce la contrainte budgétaire et le contrôle de Bruxelles), "erreur absolue de ce quinquennat" qui a validé l'austérité.
Et d'épingler le virage du Credit impôt recherche compétitivité, qui fait "passer brusquement d'une volonté de réduire les dépenses à des économies affectées à de nouvelles dépenses. En annonçant que 20 milliards d'euros seraient consacrés aux entreprises, on ne se contentait plus de dire qu'il fallait répartir les efforts. On faisait le choix de concentrer les efforts sur certains et les bénéfices sur d'autres".
"Le renoncement, estime-t-elle, devient la matrice du quinquennat".
Les atermoiements de François Hollande
Des reniements qu'elle attribue au chef de l'Etat. Le problème de François Hollande, selon Cécile Duflot, "n'est pas de ne pas savoir décider, c'est de toujours vouloir trouver la solution qui ne fait pas de vagues. Résultat, cela ne fait pas de vagues, mais cela crée un tourbillon qui aspire tout le monde vers le fond".
Quelles sont les convictions du président de la République ? Au-delà du désir d'éviter les mécontentements, François Hollande, affirme la députée EELV de Paris, "n'a jamais été écologiste". "En productiviste classique, il est nourri par l'idée que seule la croissance vaut". D'où "la méthode Hollande : ne pas brusquer les marchés est préférable en toute circonstance".
Comme d'autres, elle bute sur "le mystère Hollande" (ce côté énigmatique bien décrit dans Jusque là tout va mal, de la journaliste Cécile Amar, qui "tient ici la plume" de l'ancienne ministre ).
Après sa polémique avec Manuel Valls sur les Roms, Cécile Duflot se demande ainsi de quel côté penche François Hollande. Et se dit "bien incapable de répondre".
La ligne Valls
Cécile Duflot n'a jamais caché son désaccord avec la ligne Valls, beaucoup plus à droite que la sienne. Elle rappelle néanmoins sa "sidération" quand elle a vu le ministre de l'Intérieur (devenu premier ministre depuis) emboîter le pas à un Nicolas Sarkozy, notamment sur les Roms. Par ses propos sur France Inter, le 24 septembre 2013 : l'ancien maire d'Evry déclare que "les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie". Par ses actes quand il "met en scène" des expulsions de camps de Roms, à l'été 2012.
L'absence de débats
Autre étonnement, au terme de son expérience gouvernementale : l'absence de débat. Elle, qui vient d'un parti où l'on affectionne (à l'excès peut-être) confrontations et controverses, note avec surprise qu'au gouvernement "nous n'avons (eu) des discussions que lorsqu'il y a (eu) des problèmes".(...) "Pendant longtemps, je serai persuadée qu'il y a des lieux de débat entre socialistes auxquels nous ne sommes pas conviés. A mon grand étonnement, je découvrirai que non. Comment imaginer qu'il n'y ait aucun débat collectif ?".
Le sexisme d'un Cahuzac ... et d'autres
Au-delà des déclarations fracassantes, les notations révèlent la difficulté de gouverner. Les administrations contre lesquelles il faut lutter pour imposer sa loi sur le logement. Et notamment Bercy où régnait alors Jérôme Cahuzac, qu'elle découvre "méprisant et brutal", "odieux" dans les discussions budgétaires. Et qui la traite de "crasseuse" par SMS, parce qu'elle refuse, sur Canal +, de prendre son parti contre Mediapart, dans l'affaire du compte caché en Suisse de l'ancien ministre du Budget.
Malgré la parité ministérielle, elle débusque le sexisme encore si présent. Dans les cabinets ministériels, où les hommes sont majoritaires, dans les réunions importantes, quasi uniquement masculines. Et une misogynie si sûre de son impunité qu'un député peut encore hurler sur les bancs de l'Assemblée : "allez vas-y, enlève les boutons" à une ministre en robe (à fleurs).
Et maintenant? Le livre est un plaidoyer pour une gauche cessant d'être "tétanisée par le FN", pire moyen de le combattre. Une gauche affirmant ses valeurs parce qu'à "force de reprendre les arguments et les mots de la droite, de trouver moderne de briser les tabous (...) quelle est la différence avec la droite" ?
Conclusion ? "A force de trianguler, ils ont fait disparaître la gauche". Elle suggère que Hollande renoue enfin avec une majorité élargie, notamment sur sa gauche. Une aile qu'elle aimerait contribuer à fédérer ?
-> De l'Intérieur, Voyage au pays de la désillusion, Cécile Duflot, Avec Cécile Amar (Fayard, 17 euros)