Dumping fiscal en Europe : où payer moins d'impôts si on est ...

De quoi parle Dumping fiscal, enquête sur un chantage qui ruine nos Etats, du  journaliste belge Eric Walravens ? De la course au moins-disant fiscal dans l'Union européenne. Qui bénéficie de cette spirale dévastatrice pour les comptes publics ? Citons quelques exemples, piochés dans l'ouvrage :

Les multinationales

L'Irlande est "un cas d'école" avec un impôt sur les sociétés à 12,5% : "un des plus bas du monde occidental", souligne Le Monde.  Les géants américains du web, comme Google ou Amazon, l'ont compris et plébiscitent Dublin pour leurs sièges sociaux en Europe. Sans bouder les Pays-Bas : Challenges détaille ainsi la recette du "double irlandais" combinée au "sandwich hollandais", idéale pour ne payer quasi-aucun impôt sur les bénéfices.

Autre trouvaille à succès, belge celle-ci : la "déduction d'intérêt notionnel", si juteuse qu'elle attire même des sociétés françaises à capitaux publics, comme EDF Investment Group (filiale d'EDF)

"En 2011, notait ainsi le journal belge L'Echo repris par Courrier International,  EDF Investment Group (...) a payé 900.000 euros d’impôts, soit moins de 0,3%" (du bénéfice réalisé)" Et de citer ce propos d'un avocat : "EDF est détenu par l’Etat français à hauteur de 84%, et vient en Belgique pour payer moins d’impôts à... l’Etat français (...) Très étrange.» 

Le siège européen de Google, à Dublin  (AFP PHOTO/Peter Muhly

Le siège européen de Google, à Dublin (AFP PHOTO/Peter Muhly

Les riches

"Casse-toi riche con ! " titrait Libération le 10 septembre 2012. Qui était apostrophé en termes si peu courtois ? Bernard Arnault, deuxième fortune de France en 2013, qui défrayait la chronique en demandant sa naturalisation belge (demande retirée par la suite).

Pourquoi cet attrait des grandes fortunes pour le plat pays, "paradis fiscal pour le capital, enfer fiscal pour le travail", selon le blog de Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles de Libération  ? Parce qu'il n'existe "en Belgique aucun impôt sur la fortune".

Voilà qui a séduit nombre de fortunes françaises, et cet exil fiscal a engendré ses magazines spécialisés (Avenue Montaigne, Juliette et Victor), ses petits boulots (recherche de nounous...) et surtout son gros business (avocats fiscalistes, agents immobiliers...).

Là encore, la concurrence bat son plein : "au Luxembourg", qui mise sur les HNW1" (en jargon financier : "high net worth individuals : particuliers à valeur nette élevée"), les trusts prennent la forme de "fondations patrimoniales". Quant au Royaume-Uni, il a développé, lui aussi, un arsenal fiscal qui séduit les milliardaires étrangers (et notamment les oligarques russes).

Gare du Nord à Paris, d'où part le Thalys pour Bruxelles (FRANCOIS RENAULT / PHOTONONSTOP/AFP)

Gare du Nord à Paris, d'où part le Thalys pour Bruxelles (FRANCOIS RENAULT / PHOTONONSTOP/AFP)

Les producteurs de cinéma

Revenons en Belgique pour souligner une autre merveille fiscale : la "tax shelter" qui permet une réduction de 150% d'impôts des sommes investies dans le cinéma . En clair : si une société veut investir un excédent de trésorerie de 100.000 euros, elle peut déduire de ses bénéfices imposables 150% des 100.000 euros. "Sachant que le taux d'impôt des sociétés est de 33,99%, cela représente une économie de plus de 50.000 euros", explique Eric Walravens.

Cet "incitant fiscal" a fait de la patrie des frères Dardenne un paradis du tournage :  depuis sa création en 2003, 800 millions d’euros ont été injectés dans le cinéma belge,  souligne La Libre Belgique .

Avec quelles conséquences pour la France ?  En mars 2013,  l’ingénieur du son Eric Tisserand avait tenté en vain de tirer la sonnette d'alarme,«En 2012, 70% des films français de plus de 10 millions d’euros de budget (...) ont été délocalisés vers la Belgique ou le Luxembourg", avait-il insisté,  au nom des techniciens français que le dispositif voue au chômage.

Mais les critiques ont aussi fusé en Belgique. Faisons court : l'investissement dans le cinéma belge rapportait tant qu'il a attiré quantité d'intermédiaires douteux peu soucieux  de 7e art. Contre ces dérives, Bruxelles a revu partiellement sa copie en février.

Le réalisateur Eric Rochant et l'actrice Cécile de France devant une affiche de Möbius, tourné en Belgique (15 février 2013. AFP PHOTO JEAN-FRANCOIS MONIER)

Le réalisateur Eric Rochant et l'actrice Cécile de France devant une affiche de Möbius, tourné en Belgique (15 février 2013. AFP PHOTO JEAN-FRANCOIS MONIER)

Les retraités ?

Où passer ses vieux jours en Europe ? Direction le Sud, bien sûr, mais version Atlantique. Environ 2000 Français, selon Le Monde, choisissent désormais de passer l'hiver au soleil au Portugal.

La raison ? "Depuis l'été 2012, une loi a simplifié l'octroi du statut de 'résident non habituel', faisant du pays un petit paradis (fiscal) pour les seniors", précise le quotidien.

"Les retraités du secteur privé peuvent voir leur pension totalement exonérée d'impôt" (hormis l'impôt sur la fortune)" s'ils y résident 183 jours. Ajoutons-y une vie bien meilleur marché qu'ailleurs en Europe et la conclusion s'impose :  l'économie des cheveux gris semble promis à un bel avenir au pays du fado.

 

Les salariés européens bénéficient-ils vraiment de cette concurrence permanente, qui s'apparente souvent à un jeu à sommes nulles (ce qui est gagné ici est perdu chez le voisin) ? Rien n'est moins sûr: "ces cadeaux fiscaux se multiplient à travers l'Europe, à coups de lobbying, sans qu'aucun débat ou presque ne soit mené sur leur efficacité", note l'auteur.

Il réclame donc une évaluation qui ne soit pas menée par des grands cabinets d'audit : ceux-ci sont juges et partis puisqu'ils gagnent beaucoup d'argent sur d'astucieux montages fiscaux à la limite de la légalité (comme en témoigne l'extrait du livre publié par Mediapart).

L'harmonisation des législations fiscales ? Voilà qui ferait un beau sujet de débat pour la campagne européenne, d'autant que l'Europe serait elle même un "paradis fiscal" ... pour les entreprises américaines, à en croire l'Agence France Presse.Celle-ci s'est intéressée, via l'offre de rachat d'Alstom par General Electric, à la frénésie d'OPA américaines en Europe. Et a cru y déceler l'envie d'échapper "aux 35% d'impôt sur les sociétés aux Etats-Unis, l'un des taux les plus élevés du monde industrialisé."

-> Dumping fiscal, Enquête sur un chantage qui ruine nos Etats , Eric Walravens ( Les Petits matins, Institut Veiben pour les réformes économiques, 15 euros)