Dans Mauvaise fille, Justine Lévy règle son compte aux mandarins

Qu'on ne s'y trompe pas, Justine Lévy règle ses comptes d'une plume trempée dans l'acide. Dans Rien de grave, la romancière dépeignait férocement une Don Juane lui piquant son fiancé. Paris Match a reconnu sans mal les modèles, Carla Bruni (avant qu'elle n'épouse Nicolas Sarkozy) et Raphaël Enthoven.

Dans Mauvaise fille, autre roman autobiographique désormais porté au cinéma, elle retrace les relations de la narratrice, son double (interprétée par Izia Higelin) et de sa mère,  un ancien mannequin se mourant d'un cancer (incarnée par Carole Bouquet).

L'injoignable "Toubib" mondain

Pour rendre cette agonie, Justine Lévy invente des raccourcis saisissants, ses souvenirs mêlant rétrospectivement le deuil et la maladie : "elle (la mère) est là toute pomponnée, avec les drôles de chaussures qu'elle aura pour son enterrement, l'oedème de ses jambes, son ventre énorme sous le joli cardigan..."

La romancière fait surtout un inoubliable portrait au vitriol du  "Toubib", ce ponte que le tout-Paris s'arrache. S'il a accepté de soigner sa mère, c'est uniquement parce que l'ancien compagnon de celle-ci (dans la vraie vie Bernard-Henri Lévy, père de l'auteure)  lui a instamment demandé. Mais le médecin mondain reste le plus souvent injoignable pour cette malheureuse désargentée qui a perdu sa splendeur d'antan :

"Toubib, c'est le nom qu'on donne entre nous au super-grand patron que papa a mobilisé pour qu'il essaie sur maman ses super-nouveaux protocoles ... Mais Toubib ne la prend pas au téléphone, Toubib ne la prend jamais, Toubib ne répond que quand c'est papa lui-même qui l'appelle ..."

Pire encore, la patiente, qui ne paie pas, flotte dans un entre-deux, ni totalement oubliée, ni vraiment considérée :

"On est maman et moi dans la salle d'attente. Toubib, le Grand Professeur, nous prend toujours entre deux rendez-vous. Je veux dire deux vrais rendez-vous, avec des Vrais Patients, des Payants, car pour nous c'est gratis, c'est une faveur qu'il fait à mon père, entre écrivains on se comprend, car oui, moi aussi je suis écrivain il nous précise à chaque fois..."

"C'est lui et Chirac, lui et Mitterrand, lui et Liz Taylor..."

Sur la vanité du médecin, l'écrivain est d'ailleurs intarissable :

"Toubib ouvre enfin la porte. Il me salue, toujours affable, comment va votre père, genre on ne se voit pas assez entre écrivains..."

"Sur le bureau de Toubib ... il n'y a que des photos encadrées où il bombe le torse, des photos bien en évidence qui qui narguent les malades, nous sommes en bonne santé, nous, Toubib devant l'Eternel, nous avons des amis puissants, des préoccupations sociales et artistiques, nous ne sommes pas un petit toubib de rien du tout. C'est lui et Chirac, lui et Mitterrand, lui et Liz Taylor, lui, lui et lui, et tous les grands de ce monde qu'il n'en peut plus de côtoyer, les riches et les célèbres, les glamour et les excentriques, mais il ne connaît même pas le nom de maman, madame Doutrelinge il s'obstine à l'appeler..." (De son vrai nom, Isabelle Doutreluigne).

Le cancérologue David Khayat, qui s'était reconnu, n'avait guère apprécié ce portrait en baudruche. Au point, raconte L'Express, de tourner ostensiblement "les talons à l'arrivée du père" de l'écrivain, Bernard-Henri Lévy, à l'occasion de la fête donnée par Guillaume Durand pour son anniversaire".

A cette charge violente et comique contre le pouvoir mandarinal s'ajoute le portrait émouvant de la mère, foldingue et bohême, qui aura pour derniers amis les clochards du voisinage, tous présents à son enterrement. Dans la richissime bibliothèque consacrée aux relations mère-fille, Mauvaise fille ne dépare pas.

Mauvaise fille de Justine Lévy, Le Livre de poche (6,60 euros)

Dans le film Mauvaise fille, Carole Bouquet joue la mère AFP PHOTO / VALERY HACHE

Publié par Anne Brigaudeau / Catégories : Actu / Étiquettes : santé