Le président de l'Agence du service civique Martin Hirsch publie cette semaine La lettre perdue (Stock). Cette lettre égarée dans ses cartons de déménagement lors de son départ du gouvernement Fillon, le 22 mars 2010, était la dernière que son père lui avait envoyée, en 1988, avant de mourir. Bernard Hirsch mettait en garde son fils entrant à l'ENA "contre la suffisance, les apparences, les jeux de pouvoir, la griserie".
Dans ces fragments d'autobiographie, l'ancien haut commissaire aux Solidarités actives revient sur sa passion pour l'alpinisme ou la musique et explique le sens de ses engagements. Ce médecin de formation rapporte ainsi des anecdotes marquantes qui, dit-il, ont orienté ses décisions dans le domaine de la santé. En voici cinq :
Un "pied à coulisse pour mesurer la taille des testicules"
Souvenir d'enfance. Martin paraît trop petit à sa mère, qui l'emmène voir un spécialiste. "Le professeur ... était réputé pour son maniement des hormones de croissance. Lui-même était tout petit, probablement à peine un mètre soixante...
C'était un scientifique qui n'avait pas face à lui des enfants, mais des problèmes de dosages hormonaux. Il m'inspira d'emblée la plus grande méfiance et la plus parfaite antipathie. Qu'il me prescrive des radios osseuses des poignets... passe encore, mais qu'il s'autorise à utiliser une sorte de pied à coulisse pour mesurer la taille de mes testicules, c'était plus que je n'en pouvais supporter."
Martin refuse tout net de revoir le médecin. Devenu directeur de la Pharmacie centrale des hôpitaux, il le retrouve vingt ans plus tard : "Le professeur était le président de France Hypophyse, association au cœur du drame de l'hormone de croissance contaminée... Il avait perdu beaucoup de sa superbe, mais rien de ses certitudes."
Le mandarin et l'enfant suicidaire
Etudiant en médecine, Martin Hirsch effectue en 1984 un stage à l'hôpital Saint-Vincent de Paul. Il noue des liens de sympathie avec un enfant de 12 ans, hospitalisé pour tentative de suicide le jour de son anniversaire. Un jour attendu en vain par ce préadolescent non désiré et maltraité : "Pas un cadeau, pas une attention, pas une bougie. Pas un mot, pas un geste de tendresse." Désespéré, le garçon avale tous les médicaments de la pharmacie familiale avant d'être sauvé de justesse.
Le lundi, se souvient l'auteur, "c'est la visite du chef" de service, suivi d'un "cortège de blouses blanches". Un coup d'œil rapide au dossier, trois phrases de l'interne pour le mettre au courant. "Le chef n'a pas besoin d'en savoir plus. Il ouvre la porte, avec un grand sourire, et s'adresse à 'mon' patient. 'Alors mon garçon, on fait le malin ?' Faire le malin! Quelle expression hors de propos... J'ai envie de disparaître. D'étrangler ce ponte qui manque tellement de psychologie. Qui impose sa morgue à 'mon' malade si fragile, si mûr, si sensible. Je vois le jeune garçon chercher mon regard, le trouver et lever les yeux au ciel, l'air de dire : 'Pas la peine de lui expliquer'".
De la cervelle pour les trépanés
L'été 1982, le jeune homme travaille comme agent hospitalier au service de neurochirurgie de l'hôpital Sainte-Anne.
"Un jour, raconte-t-il dans son livre, où j'ai apporté les plateaux-repas, il y avait au menu de la cervelle. Une jolie petite cervelle d'agneau dans une barquette en plastique. Les premiers malades servis ont fait la grimace. Ils avaient tous, qui une tumeur au cerveau, qui une trépanation, qui un accident vasculaire cérébral. On avait farfouillé dans leur cerveau, et parfois ôté un bout. J'ai repris mes plateaux et remballé mes cervelles. J'ai terminé ma tournée des chambres avec un plateau sans l'entrée. C'était moins cruel."
"Une ou trois semaines pour être remboursé ?"
Externe en quatrième année de médecine, le futur haut-commissaire aux Solidarités actives se voit demander par un patient le délai de remboursement d'une radio par la Sécurité sociale.
"Cela prendra-t-il plusieurs semaines ?- Probablement. - Mais une semaine ou trois semaines ? Il commence à m'agacer ...- Ecoutez, vous m'embêtez avec vos remboursements. Je m'occupe de choses sérieuses moi. Une semaine ou trois semaines, quelle différence ? "Et là, le patient me répond d'un filet de voix: - Une semaine, cela veut dire que j'ai à nouveau de l'argent pour manger. Trois semaines, cela veut dire que je dois trouver une solution pour me nourrir."
Le technocrate et le cancer du poumon
En 1988, Martin Hirsch perd son père, qui décède d'un fulgurant cancer du poumon. Un an plus tard :
"Je ne sais pas qui a concocté ce sujet de l'épreuve d'économie de l'ENA sur lequel j'ai dû plancher l'année d'après. On nous demandait de démontrer l'apport positif du tabac aux finances publiques. Les calculs étaient tragiquement faciles à faire. D'un côté, le coût pour l'assurance maladie du traitement des cancers et des maladies cardiovasculaires. De l'autre, les produits des taxes, mais surtout l'effet formidable sur l'équilibre des retraites. Il fallait calculer les années gagnées pour la Sécurité sociale.
L'affaire était effectivement très rentable : les fumeurs cotisaient durant toute leur vie active pour une retraite dont ils ne bénéficiaient pas. J'eus une très amère bonne note. L'auteur du sujet devait faire partie de ces fonctionnaires qui, quelques années plus tard, nous mettraient des bâtons dans les roues, dans nos efforts, au ministère de la Santé, pour mener une politique efficace contre le tabagisme."
La lettre perdue de Martin Hirsch, Stock (19 euros)