Jeudi dernier, Manuel Valls a appelé les Français à ne pas peindre "un tableau trop noir" de notre pays et dénoncé un "French bashing insupportable". L'expression a été reprise en boucle par les médias et buzzé sur Twitter, mais personne ne l'a vraiment expliquée.
De l'anglais to bash (porter un coup de poing au visage), un bashing est, au sens propre, un cassage de gueule, et au sens figuré, une critique violente et systématique. Le terme est très usité en France où, désormais, on ne parle plus de "campagne de dénigrement", ni de "lynchage médiatique", mais de " bashing".
Nous avons commencé à utiliser cette expression avec le "French bashing" (celui-là même que notre Premier Ministre dénonce). Mais le terme bashing s'emploie à présent pour tout. La semaine dernière, Le Monde l'a utilisé deux fois dans ses titres : "Apple bashing au Congrès américain" et "On en a marre du catho bashing." L'expression est courte, percutante et cool car anglaise. Idéal pour le journalisme en ligne et Twitter où la concision est requise. Le bashing s'applique beaucoup aux personnes. Toute attaque virulente et répétée contre un individu est aussitôt qualifiée de "bashing" et précédée du nom de la personne visée. On crie au "Sarko bashing", au "Hollande bashing", au "Fillon bashing", au "Gaudin bashing", au "Lana del Rey bashing" quand on souhaite que cesse un acharnement médiatique.
Pour revenir à notre "French bashing", certains twittos s'étonnent de l'emploi d'un mot anglais pour dénoncer une critique de la France. "#Valls parle de "french bashing" Le french bashing commence par le non respect de la langue française." @zalem_j,
Certes, c'est un anglicisme, mais un anglicisme logique car le "French Bashing" désigne, à l'origine, les expressions de ressentiment des Anglo-Saxons à l'égard des Français. Cela peut prendre aussi bien la forme d'un article de The Economist qui dénonce les dépenses extravagantes de l'Etat français et la paresse légendaire de ses fonctionnaires au 35h, qu'un autocollant américain qui dénonce la position française pendant les guerres du Golfe : "France kiss my American ass" (un détournement de l'expression d'origine : "French kiss my American ass").
Les causes et manifestations du ressentiment antifrançais sont multiples et hétéroclites, On ne va pas revenir dessus. Mais il est clair que chez beaucoup de médias redneck ou rosbeef, démolir la France est devenu une tradition.
Cependant, quand il demande de ne pas dénigrer la France, Valls ne s'adresse pas aux Anglo-Saxons mais aux Français. Il souhaite leur redonner confiance, mais surtout faire taire leur critique car la critique l'empêche d'avancer, d'entreprendre des réformes. Sous entendu : arrêtez de dire que la France va mal car à force de dire qu’elle va mal, on va vraiment être mal. Le French bashing aurait donc un effet auto-réalisateur.
C'est un élément de langage qu'a ensuite repris Martine Aubry à la mode française. "Il faut donner de l'espoir aux Français et arrêter de dire que tout va mal, la France a des atouts" (Nord Eclair 14-09-2014). Pierre Moscovici aussi dénonce ce sentiment antipatriote en déclarant sur Europe 1 : "Il y a une clarté et une cohérence de l'action du Gouvernement. Arrêtons le French bashing"
Conclusion : quand on critique l’action gouvernementale, on critique la France et on n'est pas patriote. Drôle de logique, relevée par le twittos @elcubbi qui pose LA bonne question: "Un french bashing insupportable ou des esprits critiques dans une démocratie normale?"
Effectivement ce type de discours est peu démocratique car il correspond en réalité à la rhétorique du management participatif qui veut du positif et réclame une attitude positive de ses effectifs. Or, l'entreprise n'est pas une démocratie. (Même si elle souhaite que tout le monde participe avec le même enthousiasme.)
D'ailleurs, les représentants des entreprises françaises approuvent. L'ex président du MEDEF, Laurence Parisot, sur Europe 1 soutient pleinement Valls dans son combat contre le French bashing. La tribune de Jacques-Antoine Granjon, président de Ventes privées, parue dans Le Figaro et largement partagée sur les réseaux sociaux, dénonce aussi frontalement le French bashing.
"Le monde a changé et chaque Français doit en être conscient pour réussir cette mutation. Arrêtons de penser que nous sommes en crise et que la France va mal. Arrêtons l'hécatombe du French bashing, à commencer par celui qui sévit en France! Prenons notre destin en main."
Si l'on va mal, c'est donc à cause de notre manque de motivation et de notre absence d'optimisme. Rhétorique typique de boss qui prépare aux efforts et fait semblant de s'étonner des crispations qu'il suscite. Les consultants ont inventé un type de mission et un bel euphémisme pour gérer de telles crispations : "la conduite du changement".
Dans le même type de poncifs moralisateurs, les managers aiment les typologies simplistes en distinguant, au sein de leurs effectifs, les "compliqués" et les "impliqués". Les dirigeants aiment les "doers" et non les "talkers" (i.e. les faiseux et non les diseux). Ils valorisent ceux qui se relèvent sans attendre qu’on fasse des choses pour eux et méprisent ceux qui attendent d’être assistés. Jacques-Antoine Granjon dit d'ailleurs plus loin dans sa tribune :
"Sachons attirer à nouveau nos ingénieurs, nos chimistes, nos développeurs, nos diplômés d'école de commerce, nos médecins, nos pâtissiers, nos artistes et tous nos talents pour être plus inventifs que jamais, créer de l'enthousiasme, de l'énergie et des emplois! »
Jacques-Antoine sous entend-il que ceux qui restent sont les assistés, les parasites, les fonctionnaires, les cas sociaux et les syndicats... qui ralentissent la France ? Ou alors pensent-ils aux "compliqués" qui ne voient que des problèmes, alors qu'on veut des solutions ?
Soyons positifs. La France est belle et va bien. Et plus on le dit, plus on sera bien. Question de mental. Toujours. Chez les consultants, on appelle cela l'AIP (Attitude Intérieure Positive, qui vient de l'anglais PMA : positive mind attitude), une attitude recommandée en entreprise. C'est une méthode de développement personnel qui consiste à voir le verre à moitié plein, à croquer la vie à pleine dent, et à fuir les personnes toxiques. En la suivant, on ira tous mieux, même si rien ne va mieux.