Huit heures du mat'. En écoutant le journal sur France Inter, je tombe sur un reportage consacré aux problèmes des attributions des logements sociaux dans la capitale.
Le scoring est le mot mystère de ce reportage dont voici ci-dessous l'intégralité retranscrit à la sueur de mon front. J'ai mis en gras chaque occurrence du mot.
(Si vous ne voulez pas lire tout ça, vous pouvez écouter le replay sur le site de France Inter.)
Mickel Thebaud – "C'était un des engagement pris par Madame Hidalgo maire de Paris durant la campagne électorale, à partir de l'automne prochain, les HLM Parisiens seront attribués selon une nouvelle méthode appelée "le scoring", censée rendre la procédure plus transparente et anonyme. Antoine Ginaux, bonjour
Antoine Giniaux - Bonjour !
Mickel Thebaud – Alors la mesure a été votée hier par les élus lors du conseil de Paris. Elle va a priori (appuyé) améliorer le système mais sans vraiment résoudre la crise du logement. Il y a au total 180 000 logements sociaux à Paris et près de 150000 demandes chaque année.
Antoine Giniaux - Oui, il faut en moyenne six ans parfois beaucoup plus avant de pouvoir emménager dans un logement social lorsque la demande est déposée. Ca ne va pas changer. En revanche, les candidats auront une meilleure idée des délais, c'est ce que dit Ian Brossat, adjoint à la maire de paris, en charge du logement
Ian Brossat - Vous aurez un certain nombre de points qui vous rendront plus ou moins prioritaire. Par exemple, votre situation familiale, le fait que vous vivez dans un logement trop exigu. Ca permettra que les demandeurs y voient clair et notre objectif c'est bien de s'inspirer de ce qui s'est passé à Rennes.
Antoine Giniaux - Car la ville de Rennes a mis le procédé en place en 1998. Il permet dans trois quarts des cas d'attribuer des HLM en moins d'un an. Mais si le système fonctionne dans les régions où les appartement ne manquent pas, il risque de ne pas être aussi efficace dans la capitale. Il y a au total 180 000 logements sociaux à paris et près de 150000 demandes chaque année. Michel Ceyrac, qui est le président de la fédération des sociétés anonymes d'HLM.
Michel Ceyrac - Qu'on applique des systèmes de scoring à Rennes je trouve ça très bien mais à paris c'est beacoup plus compliqué. Vous pouvez avoir dix quinze candidatures pour un logement. On peut mettre en place un scoring mais ce ne sera pas le seul critère pour attribuer les logements.
Antoine Giniaux - Autrement dit le scoring va permettre de faire un premier tri dans les dossiers mais c'est toujours une commission d'attribution qui tranchera au final.
Mickael Thebaud - Oui une réforme donc mais pas de révolution, et c'est ce qui inquiète précisément les associations.
Antoine Giniaux - Et notamment celles qui se battent pour que les plus démunis aient accès au logement : ceux qui ne rentrent pas dans les critères parce que leurs revenus ne sont pas suffisants. Jean-Yves guééranger est le secrétaire général chargé du logement à ATD Quart Monde.
Jean Yves Guéranger - Le scoring ne changera rien. Ce que nous souhaitons c'est avoir une décision politique qui change les choses en termes d'attribution de logement aux plus pauvres.
Antoine Giniaux - Et l'association le rappelle, selon l'article 41 du code de la construction, les bailleurs sociaux sont censés prendre en compte toutes les personnes qui peuvent prétendre à un logement social en fonction de leur ressources.
Antoine Giniaux - merci.
En gros, le scoring est une méthode, mais rien n'est expliqué. Tout le long de ce reportage, chaque intervenant a son avis, et c'est intéressant, mais personne ne semble éprouver le besoin de détailler en quoi consiste un scoring. Comme si ce terme était un produit complexe et élaboré impossible à expliquer. Résultat, le reportage donne l'impression d'un dialogue de sourds où chacun garde en tête sa vision du scoring et défend sa paroisse.
Mais alors, qu'est ce que le scoring ? Le terme sonne très "business". Il s'agit dune méthode qui consiste à affecter une note (un score) aux clients ciblés afin de les prospecter plus efficacement. Les mieux notés seront ceux sur qui il faudra concentrer les efforts et ne pas perdre trop de temps sur les faibles scores. On s'en sert notamment dans les entreprises de crédit à la consommation pour sélectionner les personnes apte à obtenir un crédit : on fait une liste de critères, on filtre.
Le scoring, je connais mais c'est un hasard. Quand je travaillais en agence Web, j'avais été chargé de déterminer le prestataire logistique le plus pertinent pour une entreprise de cosmétique qui venait s'implanter en France. Une mission inédite pour une agence Web qu'on m'avait logiquement confiée : je n'y connaissais rien en logistique. (Et c'est toujours le cas.) Il fallait pourtant que je trouvasse le meilleur et ensuite que je convainquisse le client de la pertinence de mes choix. J'avais certes une dizaine de noms glanés sur le Web, mais comment les filtrer et comment expliquer mes choix professionnellement?
C'est alors que mon n+1 (supérieur hiérarchique) m'avait parlé du scoring. A l'époque (2004), je ne connaissais même pas le mot. Pourtant, c'est simple, et ça en jette. En gros, j'ai fait un petit tableau sous Excel, choisi quelques critères (expérience web en logistique, taille de l'entrepôt, précision des équipes de picking, ces petites mains méticuleuses qui répartissent les lots dans les cartons à expédier, disponibilité de l'équipe commerciale…). Ensuite, j'ai été voir les entrepôts, discuté avec les différents représentants, pris des notes, appliqué mes critères et abouti à des scores. Deux candidats sortaient du lot. L'un aurait dû l'emporter grâce à son expérience Web, plus probante, mais c'est l'autre qui a gagné : mon boss était ami avec un des actionnaires du prestataire retenu. Il a été facile de modifier à la marge les scores pour faire passer le second
Morale de cette histoire ? Non seulement le scoring n'élimine pas les possibilités d'arrangements, mais il les légitime !
Précision. Mon supérieur hiérarchique avait dix ans de consulting stratégique chez AT Keaney, un des gros cabinets de conseil en stratégie qui appliquent efficacement toutes les méthodes en "-ing" américaines. On y fait tout ce qu'on fait dans la plupart des entreprises aujourd'hui : des benchmarking (étude de la concurrence), des brainstorming (réunion où on réfléchit), du re-engineering (réorganisation d'un processus de production)… Vous avez compris, on nage en plein consulting (conseil).
A présent, on fait du factchecking en journalisme, du storytelling partout, du speed dating en amour, et du scoring en politique de logement. Qui a dit que le wording était réservé aux cadres sapés de la Défense ?