Salut à tous,
Désolé de démarrer ce blog par un thème aussi glauque, mais j'ai promis de commenter sur le vif, alors je m'y tiens. Hier, en écoutant un podcast de l'émission de Christine Ockrent (L'Inde : l'épreuve démocratique). Les élections indiennes étaient l'occasion d'analyser le phénomène des fœticides, une pratique sociale terrible qui consiste à tuer les fœtus dès que l'on s'aperçoit, à l'échographie, qu'il s'agit d'une fille. L'ONU estime à plus de 60 millions le nombre de femmes manquantes depuis plusieurs décennies d’infanticides, et de foeticides, depuis l’accès à l’échographie.
Il existe des documentaires très bien faits sur ce thème notamment sur Arte ou la LCP que je vous invite à voir si vous voulez en savoir plus sur ce phénomène. Moi, ce qui m'intéresse ici, c'est l'emploi du mot "fœticide".
Pourquoi pas "eugénisme" ? L'eugénisme est une politique délibérée de gouvernement, comme celle de l'enfant unique en Chine lancée début 70 pour contrôler la démographie. Mais ce n'est pas le cas en Inde : l’avortement y est légal depuis 1971. De plus, face au détournement de la technique pour la sélection du genre, le gouvernement a voté en 1994 le Pre-Natal Diagnostic Technique Act qui interdit aux médecins de révéler le sexe du fœtus, ce qui témoigne une volonté de lutte contre le phénomène.
L'eugénisme peut aussi être pratique culturelle, une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents, "où primerait la recherche de "l’enfant parfait" (cf Wikipedia - eugénisme). Or, en Inde, les filles à naitre sont considérées comme indésirables : elles coûtent cher en dot, dilapident l'héritage foncier et interrompent la lignée. Des pratiques eugénistes sont donc à l'œuvre en Inde. Plutôt que fœticide, il faudrait parler d'avortement sélectif. Les Anglo-Saxons disent d'ailleurs "gendercide" : mort donnée au fœtus à cause de son sexe, en l'occurrence le sexe féminin.
Mais en France, les médias parlent de fœticide pour les filles à naitre en Inde.On veut parler de la mort, on ajoute "–cide". Ca marche tout de suite. Ca frappe les esprits. Par quatre lettres, on sent la mort, on cherche à la montrer, et souvent à la dénoncer. Foeticide : on tue un fœtus. Infanticide : on tue un enfant. Fratricide : on tue son frère. Homicide : on tue un autre. Suicide : on se tue soi-même. Régicide, herbicide, insecticide, pesticide : on tue les rois (les reines), les mauvaises herbes, les insectes, les organismes nuisibles… Génocide : extermination d'un groupe (ou partie) en raison de ses origines. On l'applique aussi aux concepts. Est liberticide ce qui tue nos libertés. On dit souvent que les caméras de vidéo-surveillance sont liberticides depuis qu'on ne peut plus se balader en ville sans être filmé.
Les suffixes sont efficaces. Ils sont à l'origine de plein de nouveaux mots faciles à identifier. J'en vois quatre grandes familles :
- cide pour tuer,
- gène pour engendrer,
- phobe pour les peurs,
- isme pour les courants et concepts.
Du grec gennan : engendrer, les suffixe en -gène annoncent tout ce qui nait. Ca peut être physique. Cryogène : qui produit de froid. Hydrogène : qui engendre l'eau. Un groupe électrogène : un dispositif capable de produire de l'électricité. Une zone érogène : partie sensible du corps susceptible de procurer du plaisir. Un produit allergène : qui peut produire une réaction allergique. Ca peut être aussi abstrait. Anxiogène : qui produit de l'anxiété. On dit souvent que la télé est anxiogène à force de montrer des meurtres fictifs ou réels. -Gène plait car il est parlant, immédiatement. Beaucoup de néologismes proiviennent de mots existant auxquels on ajoute le suffixe -gène. On ne dit plus "pousse-au-crime" mais "criminogène", c'est-à-dire, susceptible de susciter des actes criminels. Ca sonne sérieux, expert. "Le capitalisme est il criminogène ?" tweete @FranceCulture. Un bon titre d'émission.
Le suffixe -phobe du grec phobos est aussi efficace pour désigner les peurs que –cide la mort. On distingue les peurs pathologiques à accompagner : arachnophobie (peur des araignées), claustrophobie (peur d'être enfermé), agoraphobie (peur de la foule) et les peurs de l'Autre à combattre comme la xénophobie (du grec xenos : étranger, rejet de tout ce qui est étranger)/ Même principe que les –cide, en rajoutant un suffixe à un nom existant, on donne un nom à une nouvelle peur et on peut ainsi créer un mot par peur. Avec l'actualité deux nouvelles phobie sont apparues : homophobie, islamophobie. Le processus n'est pas étonnant : de la peur instinctive de l'autre naissent les comportements hostiles envers l'autre.
Enfin, les suffixes –isme sont si connus et utilisés qu'ils impactent moins. On peut aujourd'hui rajouter des –ismes à tout substantif sans que cela n'étonne personne. Aux Etats-Unis, il existe même un dictionnaire des –ism (A dictionary of words ending in -ism, -ology, and -phobia, Eng Sheffield, EP Publishing Ltd, 1972). John Lennon les a dénoncés en 1969 dans "Give peace a chance" dont voici un extrait :
Everybody's talking about
Bagism, Shagism, Dragism, Madism
Ragism, Tagism, this-ism, that-ism
Ism ism ism