La dialectique, c'est fantastique
La dialectique, c'est bien pratique.
C'est un principe simple, qui permet d'opposer une chose et son inverse, le négatif et le positif, la position et l'opposition, la thèse et l'antithèse.
Ca peut dans certains cas permettre la prise de conscience de l'être soi au monde, aider à penser les rapports de domination et à envisager leur renversement. La dynamique maître-esclave d'Hegel en est une parabole explicite étudiée dans toutes les classes de terminale.
Le miroir déformé des "pour" et des "contre"
La dialectique, c'est aussi parfois franchement simpliste.
Ca permet de se positionner en égal inversé dans à peu près toute situation où il fait bon récupérer la revendication d'un groupe à son propre compte, en prétendant que tout se vaut et que l'antithèse n'a ni plus ni moins de valeur que la thèse. L'antithèse ne serait qu'une position équivalente et également légitime, quoique contraire à la thèse. Mieux que ça : une position équivalente parce que contraire, comme inscrite en simple miroir.
Or, dans certains cas, le miroir est évidemment déformé, car l'"anti" reflète autre chose que l'inverse du "pro". Et l'arnaque n'est pas loin.
Des droits contre des privilèges
L'arnaque, c'est quand par exemple, les "pour" défendent des droits et les "contre" défendent des privilèges. Quand les "pour" luttent contre une discrimination et les "contre" cherchent à imposer une conviction.
C'est ce à quoi on assiste depuis quelques mois avec la rhétorique des anti-mariage pour tous qui renvoient dos à dos leur déception de voir la société se transformer (sans que cette transformation ne les privent de quoi que ce soit, rappelons-le utilement) à la discrimination et à l'injustice dont les couples homosexuels font l'objet.
La manoeuvre est grossière et il ne faut pas être grand clerc pour voir que les arguments ne sont pas le miroir de l'un et de l'autre. Les "anti" ne défendent pas leurs droits (si ce n'est éventuellement celui d'exprimer qu'ils ne considèrent pas les gays et lesbiennes comme leurs égaux, ce qui est la définition même de l'homophobie, malgré leurs protestations quand on lâche le mot), ce qu'ils réclament, c'est qu'on prive les autres de droits égaux aux leurs.
Le masculinisme : un autre mouvement d'anti
C'est le même tour de passe-passe que tentent incessamment les masculinistes : en se positionnant face aux féministes, ils prétendent défendre les droits des hommes, comme les féministes défendent ceux des femmes.
Si c'était le cas, on pourrait admettre que c'est légitime : je suis la première à être convaincue que le sexisme fait du tort aux deux genres et que tous les individus, hommes et femmes, ont intérêt à l'égalité. Je suis aussi la première à promouvoir l'idée que les hommes doivent être impliqués dans la lutte contre le sexisme et que ce n'est pas une seule affaire de femmes.
Sauf que le discours des masculinistes ne consiste pas tant à défendre les droits des hommes qu'à lutter avec acharnement contre les féministes.
De la revendication de justice à la négation des inégalités femmes/hommes
Les masculinistes recrutent avec succès chez les hommes qui se sentent victimes d'une forme de sexisme favorable aux femmes. Comme par exemple ceux qui s'estiment discriminés par un juge des affaires familiales qui aura privilégié la mère dans l'attribution de la garde des enfants.
Les masculinistes gagnent aussi facilement le coeur de ceux qui ont eu des mésaventures avec une femme (drague malheureuse, union chaotique, divorce difficile, relations de travail conflictuelles) et que ça console immédiatement de penser que leur triste cas particulier est la résultante d'une dangereuse féminisation de la société.
Féminisation forcément revancharde qui s'accompagne selon eux d'une dévrilisation inquiétante des hommes.
Le fantasme de la féminisation de la société et de la "dévirilisation" des hommes
Les masculinistes n'hésitent alors pas à minimiser voire à nier les violences et les injustices dont sont victimes les femmes. Mieux, ils prétendent volontiers que la balance a basculé en faveur des femmes, que le pouvoir a changé de camp et que du même coup, la discrimination aussi.
Il suffit de lire les statistiques sur la précarité, les inégalités professionnelles, la répartition des tâches domestiques, les violences conjugales et sexuelles pour constater qu'on est évidemment dans le pur fantasme. Pour ne pas dire le grand délire.
Mais pour les masculinistes (comme pour le patriarche Kirill), le féminisme représente un vrai "danger" pour les hommes, les vrais, ceux qui font tourner le monde et cimentent les sacro-saintes fondations de la société patriarcale. D'ailleurs, leur discours porte volontiers sur ce thème : ils se revendiquent des mecs, des vrais, pas des pédales ni des dominés. Juste des bons mâles qui vont au turbin pour nourrir leur famille ou payer la pension alimentaire.
Je ne fais ici que paraphraser l'édito du site des Homen qui glorifie les "amitiés de comptoir", "les camaraderies de l'armée" et les "copains de vestiaire", entre autres clichés de la bonne grosse virilité pépère.
Vous avez dit Homen?... Ou HomMen?
Attendez, vous avez dit les Homen?
Les Homen, comme des Femen, mais avec le service trois-pièces en prime?
Oui, c'est bien ça. On les a vu apparaître il y a quelques semaines, torse poil et slogan sur la poitrine. Aux Femen, ces masculinistes sans inspiration originale ont tout piqué. Sauf un petit détail : ils masquent leur visage. Il faudrait quand même pas se faire repérer au bureau après avoir été complaisamment pris en photo par le Figaro!
Mais qui sont-ils vraiment sous leur loup de Comedia Dell'Arte? Difficile à savoir. On trouve sur Internet deux sites, l'un s'écrit Homen et l'autre HomMen. Le premier, les Homen, est dans la plus pure tradition masculiniste, on y martèle du quasi-Zemmour délayé à la sauce aigre-aigre sur un ton prétendument potache et authentiquement réactionnaire. Le second n'annonce qu'un combat : la mise à mort de la loi Taubira.
Les deux mouvements sont-ils liés? La confusion est savamment entretenue par les Homen qui relaient sur leur site Internet les articles de presse consacrés aux HomMen. Avant que leur page Facebook ne soit signalée, on voyait aussi les Homen y prendre la parole pour défendre le mode d'action des HomMen.
Chacun-e a sa place et le patriarcat sera bien gardé
Sont-ils les mêmes? Ce qui est certain, c'est qu'ils ont beaucoup en commun : ce qu'ils défendent avant tout, c'est une vision patriarcale du couple et de la famille. Des vrais hommes et des vraies femmes, des vrais papas et des vrais mamans, chacun-e son identité, chacun-e a sa place, chacun-e dans son rôle, à chacun-e son espace et à chacun-e sa vocation.
Ce qu'ils craignent au fond dans le mariage pour tous, c'est précisément ce que celui-ci peut ébranler des fondations genrées de la famille et partant, des rapports femmes/hommes dans toute la société. Ils sont homophobes, certes, ça fait partie de leur logiciel essentialiste, mais ils sont aussi fondamentalement machistes car profondément attachés à des rapports de genre figés : une femme doit être une femme, un homme doit être un homme et obligation faite à tous et toutes de se conformer à ce que leur vision de la société exige.
Et tant pis si la société qu'ils veulent préserver n'est pas en phase avec des réalités qui les dérangent.
Tant pis si la société qu'ils veulent préserver est inégalitaire, discriminatoire et oppressante pour les individus.
Tant pis si la société qu'ils veulent préserver moisit dans un vieux jus réactionnaire qui entretient la France dans une caricature d'elle-même, fière comme un paon quand elle se vante d'avoir inventé les droits humains et l'égalité mais tellement timorée quand il s'agit de remettre en question son organisation sociale pour les appliquer.