Boutin a hésité entre pleurer et tomber dans les vapes, en découvrant le nouveau timbre poste à l'effigie d'une Marianne empruntant ses traits à la leader du mouvement Femen, Inna Schevchenko.
Finalement, elle a seulement dressé ses troupes contre, dans le désordre, François Hollande, le déclin français, "l'hétérophobie" (???) et "le timbre de l'outrage".
Conspué et menacé, Olivier Ciappa, le concepteur du visuel a donc voulu s'expliquer dans une longue tribune au HuffPo : rappelant en premier lieu que ce n'est pas le Président qui a choisi cette image, mais un ensemble de lycéens qui ont voté pour, parmi une sélection de plusieurs propositions, il explicite sa démarche créative. Après avoir, dit-il, tenté de mélanger les traits de Christiane Taubira et ceux de Roselyne Bachelot pour créer la Marianne 2013 et s'être aperçu que ça ne "fonctionnait pas" (!), il a décidé de s'inspirer d'une photo d'Inna Schevchenko, la leader des Femen qui vient d'obtenir l'asile politique en France. Pour lui, c'est à la fois une façon de donner une "dimension hors frontière" à la figure d'incarnation de la France et une manière de rappeler que "le féminisme fait partie intégrante des valeurs de la République".
Jusqu'ici, je le suis.
Là, où je m'interroge, c'est d'abord sur le choix d'une Femen pour représenter le féminisme. Car si le mouvement est intéressant, il n'est représentatif que d'une frange des combattant-es pour les droits des femmes et l'égalité des sexes ; et de la frange la plus édifiante, la plus spectaculaire, la plus médiatisée, mais aussi la plus difficile à comprendre et à accepter par une large opinion publique et donc la plus nourrissante pour les anti-féministes, car la plus provocatrice. Loin de moi l'idée que la provocation n'a pas sa place dans les combats politiques, mais elle n'y a que SA place et ne saurait prendre toute la place. Aussi, paradoxalement, il me semble que le visuel créé par Ciappa tende à réduire le féminisme à sa portion activiste, au risque de contribuer à sa caricature.
La question qui se pose est aussi celle de la compatibilité de l'activisme avec, précisément, les valeurs de la République. Aucune réponse simpliste ne peut être apportée à cette question : oui, le combat vif et indocile pour la liberté et l'égalité fait pleinement partie de l'histoire politique chaotique de notre démocratie (et Marianne, bonnet phrygien vissé sur la crinière flottante et sein nu en étendard en est bien le symbole romantique) et oui, la désobéissance civile est parfois un rempart et à la violence institutionnelle et à l'inertie culturelle des sociétés. Mais la méthode activiste, par essence insubordonnée et possiblement versée dans la tentation anarchiste, vient entrer en contradiction avec les principes de l'état de droit et du système décisionnel en démocratie. Ces subtilités, au coeur de la dynamique de notre organisation politique, sont-elles si bien personnifiées par le dessin de Ciappa?
Ce qui me parait, à moi, le plus sûrement représenté sur ce timbre, c'est une Marianne glamour, à la lèvre charnue, au regard éthéré et à la féminité toute stéréotypale. La Marianne Schevchenko ne me semble pas si rebelle que ça : son allure a plus à voir avec celle des Bardot et des Casta qui ont servi précédemment de modèle à Marianne qu'avec celle d'une militante de la Barbe, par exemple, ou d'une féministe ni belle ni moche mais surtout intelligente et inspirante. Faut-il en conclure que pour incarner le "féminisme" en tant que partie intégrante des valeurs de la République, il est incontournable d'avoir avant tout un look de mannequin qui fait fantasmer le chaland?