C’était un engagement de campagne du candidat François Hollande : accorder “le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans”. Pas vraiment une nouveauté. Déjà, en 1981, François Mitterrand en 1981 promettait d'octroyer le droit de vote aux étrangers.
Seulement, pour accorder le droit de vote aux étrangers extra-communautaires, il faut modifier un article de la Constitution et, par conséquent, détenir une majorité des ⅗ au Congrès (que la gauche n’a pas à elle seule) ou proposer un référendum (risqué pour un exécutif dans les tréfonds des sondages). Un peu moins de deux ans après l’élection du président, la promesse semble toujours dans les cartons alors que s’ouvre la campagne des élections municipales.
Dans le 18e arrondissement, la question est brûlante. L’arrondissement compte à lui seul 27 000 étrangers extra-communautaires, soit plus de 10% de la population. Depuis plusieurs années, on y organise des “votations citoyennes” où le oui en faveur du droit de vote des étrangers est écrasant. Pour en parler, j’ai rencontré Majid Bâ. Sénégalais, il milite pour le droit de vote des étrangers au sein de l’Assemblée des étrangers extracommunautres parisiens (ACPE) et de la section socialiste de la Chapelle-Goutte d’or.
Vous ne pourrez pas voter à ces élections municipales. Quel est votre sentiment ?
Majid Bâ : C’est une vraie déception Je suis très investi localement dans cette campagne. Je fais partie de l’équipe des militants (socialistes) : je tracte, fais du porte à porte et je participe même à la réflexion sur les projets municipaux. Malgré tout, je ne pourrai pas voter pour le candidat pour lequel je milite et c’est une vraie frustration.
Cependant, je participe activement. Je porte quelque chose. Je peux sensibiliser les élus, leur dire qu’on est étranger mais qu’on s’intéresse à la politique, à notre ville, à nos quartiers. Et puis, je dois souligner que la mairie du 18e arrondissement a toujours soutenu les collectifs en faveur du droit de vote.
Pourquoi, selon vous, le droit de vote des étrangers n’est-il pas encore passé ?
La volonté politique existe. François Hollande en a l’idée et la volonté. Mais nous n’avons pas les ⅗ au Congrès nécessaires pour faire modifier l’article 88-3 de la Constitution. Et puis le président n’a pas voulu prendre le risque d’aller vers un référendum qui risquerait de ne pas être favorable vue la situation actuelle. Et puis il y avait tellement d’autres priorités : l’emploi, la crise.
Mais je crois que cela va être bientôt relancé. Nous devons entreprendre un vrai travail de sensibilisation auprès des députés et sénateurs.
Car c’est d’abord une question de justice. Nous ne pouvons pas vivre dans un pays, y travailler, y fonder des familles, y cotiser, bref s’acquitter de tous nos devoirs et voir nos droits, tel que le droit de vote, limités. Quand on a des problèmes de logement, des problèmes de crèche, on se tourne vers la mairie. On ne peut pas demander aux gens de s’intégrer en France si on leur refuse le droit de choisir l’élu qui leur semble le plus apte à répondre à leurs besoins. Je trouve cela discriminatoire. La nationalité n'a rien à voir avec la citoyenneté pour le droit de vote aux élections locales. Tous les communautaires votent. Ils sont électeurs et éligibles. Pourquoi pas les extracommunautaires ? On fait une distinction.
Christiane Taubira a été victime d’attaques racistes, le Front national est haut dans les sondages et les médias parlent beaucoup de xénophobie. Ne craignez-vous pas que cette réforme soit impopulaire dans le climat actuel?
Non, je ne crois pas. Les sondages prouvent qu’une majorité de Français est pour.
Ensuite, qu’est-ce qui le crée le racisme ? L’exclusion, le manque d'intégration. Ne pas avoir le droit de vote attise les clivages. Quand on a tous les mêmes droits, le racisme tend à disparaître. On est alors tous égaux devant la justice, les lois et les droits.
Au fond, c’est une question de volonté. Regardez le mariage pour tous. La droite était contre, mais il y avait une volonté de la part de la gauche. Et ça a abouti. Il faut qu’avant la fin de ce mandat on nous octroie le droit de vote.
Et que pensent les étrangers que vous rencontrez lors de cette campagne dans le 18e arrondissement ?
La plupart ne sont pas intéressés par les municipales. Etant donné qu’ils ne votent pas, ils disent : "A quoi bon m’investir ?".
Dans les médias, j’entends parfois : "On veut donner le droit de vote aux étrangers alors qu’ils ne s’intéressent pas à la politique". Mais, en réalité, les étrangers, on ne les voit pas, on ne les entend pas. Si on ne nous donne pas la parole, on ne peut pas nous entendre. Il y a un problème de communication et de visibilité.
Nous manquons peut-être de personnalités visibles. Pour le mariage pour tous, il y avait des associations très puissantes et on a entendu certaines personnalités. Mais pour nous, les étrangers, il n’y en a pas. On existe, mais c’est comme si on n’existait pas. Il faut qu’on porte une voix, notre propre voix. On est toujours derrière les associations. Bien-sûr, il faut travailler avec elles, mais elles sont toujours devant et jamais on ne voit un Africain, par exemple, prendre la parole, être en avant.
Comment expliquer cela ?
Quand on est confronté à des problèmes de logement, de travail, de conditions de vie, on songe plus à son quotidien qu’à se lancer dans la politique car cela demande un énorme investissement personnel. Il faut vraiment avoir la volonté.
Et puis, il y a le problème de la langue ou de la formation. Bien sûr, il y a des intellectuels africains qui vivent ici, mais beaucoup de gens sont analphabètes. Cela peut créer un complexe. Pour prendre la parole quand on est étranger avec des Français qui parlent très bien la langue, il faut de la confiance en soi.
Mais, quand je discute avec des étrangers, je leur dis : vous ne pouvez pas revendiquer des choses si vous n’êtes pas à l’intérieur. Si vous voulez défendre vos idées, ou combattre, il faut que vous soyez à l’intérieur des circuits de décisions.