(Crédit AFP)
Souvent l’on reproche aux profs de ne connaître que l’enseignement et de n'avoir jamais quitté l'école, et ce reproche est généralement teinté de condescendance ou de mépris, car ce qu’il faut en déduire, c’est une méconnaissance totale du « monde réel » de leur part – en conséquence de quoi ce reproche est aussi une injonction à se taire, s’agissant de la vie des autres travailleurs, alors que travailler dans un autre secteur n’empêcherait pas de connaître le métier de prof et de s’exprimer sur les sujets d’éducation, cherchez l’erreur.
Il se trouve que j’ai eu une autre vie professionnelle avant d’enseigner, et nous sommes plus nombreux qu’on ne le croit, dans l’Education Nationale, à avoir « fait autre chose » avant d’être prof. J’ai voulu donner la parole à ces collègues au parcours multiple (une centaine m’a répondu, venue du marketing, de la finance, du management, du transport routier, de l’action sociale, de l’hôpital, bref, cent horizons…) : leur double regard les place au bon endroit pour s’exprimer sur deux mondes qui gagneraient à mieux se connaître.
Pourquoi avoir changé de métier ?
Les deux raisons le plus souvent avancées sont : l’envie de travailler selon un rythme plus en phase avec celui des enfants et de la famille (« je venais d'avoir mon deuxième enfant et je me suis rendu compte que je ne voyais déjà pas assez le premier ») ; et le besoin de se sentir utile : « j’avais l’impression de ne servir, à rien, ou plutôt à personne » ; « je n’apportais rien à la société ». Nombreux sont ceux qui ne trouvaient plus de sens à ce qu’ils faisaient, qui en avaient « marre d’engraisser des multinationales », de travailler dans un monde professionnel dont ils ne partageaient pas, ou plus, les valeurs : « Mais pourquoi je travaille 14h par jour pour que Microsoft ou EADS gagnent plus d'argent ? A qui ça sert concrètement ? ».
Parmi les autres raisons avancées et qui sont autant d'inconvénients de cet ancien métier : le sentiment d’avoir fait le tour de leur métier, la pression de la hiérarchie et plus généralement un " système presse-citron", l’envie de liberté, le besoin d’exploiter à plein ses capacités intellectuelles…
L'ancien travail
Ces personnes ont laissé derrière elles nombre d’avantages et en ont conscience : le salaire, pour commencer, « la journée de travail qui se termine lorsque la porte est fermée », les perspectives d’évolution, une certaine ouverture au monde, aussi, et des avantages matériels non négligeables : le 13ème mois voire plus, les participations, le comité d’entreprise, les tickets resto, les organisations et sorties/voyages avec le boulot, des formations professionnelles régulières et fournies. La plupart à également conscience d’avoir laissé derrière une certaine reconnaissance sociale, un statut bien plus confortable.
Les avantages du métier de prof
Lucides, ces professeurs ont conscience des avantages que leur offre leur nouveau métier. La sécurité de l’emploi, d’abord, et la stabilité qu’il offre, de même que la certitude d’un revenu stable. Les vacances, ensuite, et plus généralement le fait de pouvoir organiser sa vie personnelle de manière assez libre, grâce notamment à un « présentiel léger » de 27 heures par semaine (« je ne rentre plus à 20 heures et peux voir mes enfants le soir, mais bon, je ne peux plus les accompagner à l’école le matin… »). Nombreux sont ceux qui décrivent un métier stimulant intellectuellement, qui ne connaît pas la routine, où l’on est sans cesse en éveil face à des situations nouvelles : « Je pense être une privilégiée (mais pas comme on le dit à la télé, hein), parce qu'on est toujours en mouvement, dans la tête, dans les recherches, dans les apprentissages. On se remet beaucoup en question, on apprend l'humilité, enfin, certains instits, mais je trouve que c'est un métier où on doit être humble ».
D’autres encore le fait de ne pas avoir de pression hiérarchique, même si certains regrettent de ne pas avoir plus de rapports avec leur supérieur. Et, bien sûr, les élèves. Constante unanime, ce sont le moteur de leur joie quotidienne, ce pour quoi ils se lèvent chaque matin, et cette « relation qui se tisse avec eux, les découvrir peu à peu, les voir s'épanouir dans la classe, le voir progresser, avancer, évoluer ».
Les inconvénients du métier de prof
Venus d’un autre milieu professionnel, ces enseignants portent un regard circonstancié sur les inconvénients de leur nouvelle profession.
D’abord, les nouveaux profs ont souvent découvert un métier dont ils ne soupçonnaient pas la charge de fatigue : « le stress généré me semblait démesuré par rapport à l'idée que je me faisais de l'école », « j’avais largement sous-estimé la fatigue nerveuse de la conduite de classe et l’usure des batailles quotidiennes contre le système ».
Il y a bien plus de travail qu’escompté, car aux 27 heures de présence s’ajoute « un travail conséquent de préparation et de correction fait à la maison dont seul mon conjoint a conscience (puisqu’il empiète sur mes soirées, mes week-ends et mes vacances) », et parfois la vie de famille en pâtit : « Je me suis rendue compte que je délaissais beaucoup mes propres enfants pour m'occuper des enfants des autres ».
Ils découvrent aussi qu’il faut parfois des années pour être titularisé sur une école près de chez soi, et que ces premières années sont particulièrement difficiles (« c'est toujours dur de débuter dans un boulot mais là c'est le pompon ! »). Ils savent la faiblesse du salaire par rapport à ce qu’ils ont généralement connu avant (« un salaire « de misère » au vu des responsabilités engagées et du niveau d’étude attendu »), mais découvrent la lourdeur du système, la hiérarchie qui méconnaît le terrain et infantilise, la paperasse administrative, « les concertations de ci, de ça, les réunions pour ci, pour ça, certes parfois nécessaires mais tout de même chronophages et souvent gonflantes... ».
Tous disent le cruel manque de moyens (« je reviens des courses j’ai encore acheté plein de matos avec mes sous »), le « retard abyssal dans l’environnement numérique », nombreux sont ceux qui dénoncent une gestion des ressources humaines et un suivi médical inexistants, et, surtout, qui s’étonnent devant une formation, notamment continue, particulièrement déficiente.
Enfin, tous parlent de manque de reconnaissance sociale : « Je compare mes deux emplois... Ce qui me sidère le plus aujourd'hui, c'est la méconnaissance que les gens ont de notre boulot (et de la masse de boulot que nous avons) et le dénigrement de notre métier, tout le monde, même ma famille, a l'impression que prof c'est à la portée de tout le monde » ; « peu de personne voudrait de notre place, mais on passe souvent pour des planqués. »
Choisir sa vie
Placé au carrefour des expériences professionnelles, ces instits ne sont complaisants ni pour les uns, ni pour les autres : « J'aimerais que les salariés du privé arrêtent de cracher sur les profs "qui foutent rien" et que les profs arrêtent de dénigrer les autres professions : on a tous nos petits soucis et grandes galères ».
Plusieurs insistent sur le sentiment, décisif, « d’avoir choisi – et de continuer à choisir – sa vie ». En se disant que rien n’est figé, qu’une autre vie les attend peut-être. « Je fais ce métier en me disant surtout que si un jour j'en ai marre, j'arrête, je reprends une formation, je fais autre chose. Je vois beaucoup de collègues qui ont l'impression de ne pas avoir d’autre choix que de continuer et je crois que la souffrance de beaucoup dans ce métier c'est de ne plus avoir ce sentiment de liberté qu'on peut changer ».
Si certains s'imaginent d'autres vies possibles, encore, la plupart a le sentiment d'être enfin à sa place : « Je me lève heureuse tous les matins, malgré les difficultés, les contrariétés, et je suis toujours heureuse dans ma classe, avec les élèves. Je crois bien que j'ai trouvé ma voie, et ça n'a pas de prix. »
Faute de reproduire ici la centaine de témoignages qui m'est parvenue, et au-delà des tendances dégagées ci-dessus, voici quelques témoignages particuliers :
« J'ai travaillé dans le commerce et le marketing pendant 7 ans pour des gros groupes agro-alimentaires. J'ai fait plein de voyages professionnels, plein de rencontres intéressantes, j'ai appris beaucoup de choses concrètes et j'ai l'impression que ça me permet de mieux comprendre le monde qui m'entoure et d'avoir du recul sur ma profession d'aujourd'hui. Globalement je trouve que mes collègues profs des écoles rouspètent beaucoup. Je les comprends, on n'est pas très valorisé. Pas beaucoup de grandes entreprises du privé ne traitent ses employés comme le fait l’Education Nationale. Mais mon expérience du privé m'aide à relativiser : je sais ce que c'est que de stresser de perdre un gros contrat, de stresser de perdre son boulot. Maintenant je préfère stresser sur des choses en lien avec l'éducation des enfants que sur le nombre de produits que je vais réussir à vendre cette année. Souvent mes collègues me demandent si je bossais plus ou moins avant. C'est très dur à quantifier. Je pense que c'est équivalent, malgré les vacances, les horaires, etc. Mais ce boulot de prof nous happe complètement, on peut difficilement décrocher : quand je ne suis pas en train de bosser pour l'école, je culpabilise. Je n'avais pas ce sentiment avant dans le privé. »
df
« Ma vie d'avant était assez tranquille : horaires assez réguliers, tranquillité le soir et le weekend puisque le boulot restait au boulot. J'avais la reconnaissance de mes pairs et des moyens pour travailler. Par contre c'était un travail très routinier et je dépendais des desiderata de mes supérieurs. Être prof des écoles c'est avoir la reconnaissance de ses élèves, les voir progresser, grandir et évoluer. Nous sommes libres dans notre façon de travailler et dans nos choix pédagogiques. Aucune journée ne ressemble à une autre, et c'est très riche intellectuellement. En revanche on n’imagine pas la quantité astronomique de travail personnel et qui empiète très largement sur notre vie privée (soirs, weekend, vacances), ou qu’on doit payer ses outils de travail (ordi, cartouches, manuels). Dans mon ancien boulot, je ne versais pas un centime de ma poche pour le boulot. Et enfin la sensation parfois d'être isolé... Avant je pensais que les instits étaient membres d'une corporation très soudée. En fait pas du tout : cet esprit corporatiste disparaît quand on est seul dans sa classe. Et le plus dur : l'absence de reconnaissance et les critiques de la société. Quand on voit l'investissement en temps, personnel et en argent que demande notre profession, c'est totalement injustifié. »
df
« Mon mari me reproche parfois d'être mariée à l'éducation nationale et ça nous a valu quelques engueulades surtout lorsque je vais préparer ma classe le dimanche à l'école. Il est 18 h 30 lorsque je rentre chez moi le soir... ce n'est pas plus tôt que lorsque j'étais dans le privé. De chez moi, je gère les messages de la direction,... Je suis épuisée par mes journées... J'ai la sensation d'un carcan, d'une absence de liberté, d'un manque de confiance, d'un flicage... que je ne connaissais pas auparavant. J'ai le sentiment d'avoir moins de temps pour moi.... alors que nous avons tant de vacances !!! Mais en fait, je ne décroche jamais. Je ne sais pas pourquoi. J'ai parfois quand même un goût amer lorsque j'entends les médias parler de notre profession, le manque de valorisation de notre métier, de notre salaire... Bref voilà, quelques mots à la chaine mais je dois m'arrêter, j'ai une séance sur Kandinsky à finir de préparer. »
df
« Après 15 comme assistante de direction chez Xerox, je suis devenue PE et je m’éclate, même si j'ai vu le métier évoluer et en particulier dans le côté administratif qui devient parfois insupportable. Je me sens plus proche de mes premières envies, qui étaient d'être médecin. Voir les enfants évoluer, apprendre, s'épanouir dans nos classes c'est quelque chose d'excessivement enrichissant. Certes, le métier devient casse pied parfois, mais je crois que j'y suis jusqu'à la retraite maintenant. Je suis également persuadée que l'arrivée des gens qui se sont reconvertis dans les salles des maîtres ne peut qu'être positive, car je reproche quand même à certains collègues d'être totalement déconnectés de la vie réelle et donc d'avoir parfois des jugements très durs sur les enfants et leurs familles qui peuvent être liés au fait qu'ils ne connaissent que l'école depuis le début de leur vie ! J'ai vu également au cours de ces 13 ans évoluer le regard de la société sur notre profession, et c'est parfois très déstabilisant ! »
df
« Dans mon ancienne vie, j'avais un statut social bien plus confortable, un salaire, des avantages sociaux importants (grosse multinationale), beaucoup de collègues adultes mais un métier qui ne m'"habitait" pas, un malaise face à un management tellement basé sur du court terme qu'il marchait sur la tête. Je ne me résous pas à me satisfaire de notre salaire que je trouve indécent, je me sens à l'étroit dans la maison EducNat à cause de l'administration, qu'il est parfois difficile de ne pas pouvoir faire autrement que ramener ses valises de colères, d'insatisfactions le soir chez soi et qu'on aimerait offrir autre chose à notre famille ».
df
« J'ai travaillé 10 ans en entreprise après une école de commerce reconnue (EM LYON) et ai réalisé que je m'y ennuyais ferme en réunions, discussions que je croyais inintéressantes et futiles. Envie d'être utile je crois, de donner du sens à mon boulot... Aujourd'hui bizarrement je ne recommande à personne de faire ce métier de prof, uniquement pour le manque de reconnaissance sociale. Je "souffre" qu'on oublie que je bosse, qu'on ne me parle que de mes vacances, qu'on me plaigne parce que je suis entourée d'enfants ("franchement je supporterais pas !"). Les gens oublient que c'est un métier, que nous avons des compétences professionnelles... En même temps, je suis à la ramasse financièrement et ça c'est difficile aussi, après avoir gagné bien plus avant. Le plaisir est en classe, c'est vrai (et encore, pas toujours), le côté positif c’est l'autonomie de travail, et la gaité des enfants ! La possibilité de se réinventer, la liberté pédagogique.... Et pour ma part pas de stress ! Peu d'inspection, une directrice débordée qui ne regarde pas ce que je fais, des collègues le nez dans leur guidon... bref, on n’est pas franchement emmerdés dans ce métier. Mais ça c'est peut être aussi un regret par rapport à ma vie d'avant... un peu plus de pression ne nuirait peut-être pas, pour challenger les troupes (ouh le vilain mot!). »
df
« Après des études d’ingénieur, j'ai passé 6 ans en entreprise, à voir peu à peu mon idéal de responsable qualité partir en lambeaux. J'avais choisi la qualité et la r&d dans l'idée de servir les gens, de créer et participer à fabriquer des produits qui apportent quelque chose aux gens. Alors qu'en fait, j'avais le sentiment de devoir passer mon temps à mettre une sourdine à mes idées, mes envies, mes projets pour satisfaire l'égo de mon directeur et de travailler pour ne rien apporter d'autre que toujours plus d'argent à la PDG de groupe.
L'avantage que je vois clairement à mon ancienne vie, c'est qu'une fois sortie du boulot, je n'avais plus besoin d'y penser. Et aussi la reconnaissance. Dire "je suis ingénieur" ou "je suis responsable ceci celà", ça déclenche systématiquement un petit regard admiratif ou presque, l'air de dire "ah ben, elle a réussi dis donc !". Pour ma nouvelle vie, je mentirais si je disais que je n'apprécie pas l'énorme quantité de temps libre que j'ai, même si je travaille sur une partie de ce temps. J'aime aussi être seule responsable de mon travail, la liberté de choix dont je jouis, même si cadrée par des directives et décisions des inspecteurs et autres ministres. Ne pas avoir un supérieur au quotidien à qui je dois rendre compte, c'est un confort que beaucoup semble ignorer.
Par contre, le plus gros inconvénient du métier reste pour moi le manque quasi total de reconnaissance du métier que je ressens. Qui se rend compte des heures de préparation, du temps que je passe à penser à ce que j'ai fait avec mes élèves, à ce que je vais faire, aux ramifications entre les différents projets, aux difficultés aussi de mes élèves, aux obstacles à l'apprentissage qu'ils rencontrent. Qui, à part mon compagnon je pense, se rend vraiment compte de l'implication émotionnelle du métier quand on veut vraiment bien le faire ?
Je pense que ce qui m'a marqué c'est d'abord le nombre de collègues que je rencontre qui ont exercé un autre métier avant. Je n'aurais pas cru qu'autant de monde choisisse cette voie avec tout ce qu'on peut entendre de négatif sur le métier ! Et à côté de ça, je dirais qu'il y a quasi autant de profs "blasés" qui parlent de quitter le métier mais ne le font pas. Qui semblent en avoir plus qu'assez mais qui se révèlent en fait trop passionnés pour aller voir ailleurs. C'est un métier de contraste, un métier qui bouffe, qui envahit. »
df
« J'ai travaillé comme guichetière de banque, femme de ménage, aide à domicile, vendeuse, employée de fastfood puis j'ai travaillé durant huit ans comme assistante dans une boîte de transport en Allemagne. Non seulement l'ambiance de travail était infecte mais je me demandais vraiment le sens de ce que je faisais. Il m'est arrivé de me faire traiter de tous les noms parce qu'un camion était en retard, certains clients auraient vendu leur mère pour que leurs palettes de choux-fleurs arrivent à l'heure. Ce que je trouve pénible (ou amusant, selon mon humeur...) c'est entendre les profs qui sont profs depuis la nuit des temps se poser en complète opposition avec les "autres", les salariés des entreprises... Non, être secrétaire n'est pas forcément "un boulot peinard", on peut être épuisée de la même manière, sauf que l'on a que 5 semaines par an pour s'en remettre. J'aimerais que les salariés du privé arrêtent de cracher sur les profs "qui foutent rien" et que les profs arrêtent de dénigrer les autres professions : on a tous nos petits soucis et grandes galères. Mais ce n'est rien, j'essaie de ne pas les écouter Je ne regrette pas mon choix, j'espère en dire autant dans 20 ans. J'ai le sentiment d'avoir enfin trouvé ma voie ».
df
« J'ai 41 ans, et mon parcours est loin d'être rectiligne. Bac scientifique, Sciences Po, puis marketing et communication en école de commerce. J’ai travaillé huit ans dans le domaine pharmaceutique et industriel. Enseigner permet de bien mieux s'organiser pour voir ses propres enfants. La sécurité de l'emploi et du salaire est un vrai confort, quand je vois tous mes amis qui sont cadres en entreprise, il est évident que l'ambiance de travail s'est dégradée avec la crise, et la précarité est très importante. Mon mari est cadre commercial, souvent sur la sellette, être sûrs que mon salaire rentrera toujours permet de mieux dormir. Et les grandes vacances sont un réel avantage. Quant au salaire, si on le ramène au nombre de semaines travaillées, je suis dans la même fourchette que certains de mes amis cadres "moyens", et à 30% ou 50% de moins que les autres.
Ce qui est difficile à percevoir pour les personnes qui travaillent en entreprise, c'est l'intensité de l'investissement personnel quand on est enseignant. Il m'a fallu apprendre une posture professionnelle qui concilie l'engagement dans l'action et le détachement dans les émotions. »
df
« J’ai fait des études de droit, et j ai bossé au service contentieux d une banque durant 17 ans. J’ai un jour pris conscience que je ne servais qu’à "tondre les œufs", mon travail consistait a faire rentrer le plus de fric possible pour la boite, sans aucune considération humaine, mon boulot était évalué en terme de "combien", combien de fric, combien de dossiers, combien de gens tondus...
[…] Ma nouvelle vie était rose, je bossais sur l’humain, j’allais apporter la science aux petites têtes blondes, j’allais sauver le monde, Mère Térésa c’était moi.
Je ne regrette pas de ne plus être enchaînée à mon téléphone pour récupérer du fric, mais je bosse (comme tous) nuit et jour, je rêve école, je mange école, je fais les magasins école, j’ai mes amies écoles, je ramasse des pommes de pins et je garde les pots de yaourt vides, au cas où...
J’ai un salaire de misère (je suis à mi-temps, sinon je serai en asile MGEN), je n’ai plus de tickets resto, de CE, de RTT, de 13e mois (j’en avais même 16...), d’intéressement/participation, j’ai parfois honte de dire "je suis instit", tellement notre job est dévalorisé, vilipendé, moqué, déconsidéré. Les vacances, on les paie cher, on bosse durant la moitié ou plus, et on nous les reproche.
La hiérarchie... J’avais un chefaillon, qui gueulait, j’ai un IENaillon, qui sait me dire ce qui ne va pas, sans me donner de pistes pour améliorer.
Je remplis des formulaires pour aller à la biblio, pour prendre le bus, pour les APC, pour le projet d'école (oserais-je vous dire ce que je pense des projets d’école?).
La formation continue : j’avais un ou deux séminaires par an dans un bel hôtel, tous frais payés, avec des réunions stupides (stage énergie vitale, stage PNL, revitalisez votre esprit d’équipe...), j’ai des animations péda, dans une salle qui sent le renfermé, avec des sujets stupides (les TICE au service de la langue… sans ordi)."
df
« J'ai réussi à devenir enseignant comme je le souhaitais, mais j'ai aussi eu la chance d'être nommé en Maternelle pour cette année. Or, c'est ce que je désirais. Je me lève plus tôt qu'avant, me couche plus tard pour préparer tous les jours mes ateliers, je passe des heures à penser, imaginer, concevoir des choses qui pourraient plaire à mes élèves ou à lire d'autres choses pour m'améliorer encore. Ramené à un taux horaire, c'est de l'exploitation pure et simple, même pour quelqu'un qui, à une époque, pouvait bosser 12 heures par jour. Mais d'un autre côté, le matin je suis heureux de me lever (même si les réveils sont durs !), mes journées filent à une vitesse incroyable et le plaisir et l'humanité que je peux trouver dans mes relations avec les autres enseignants, les enfants et les parents sont sans commune mesure.
Mon ancienne vie était stressante, prenante et éreintante. Ma nouvelle vie est stressante, prenante et éreintante. Mais je m'y sens bien. On est loin de l'image que les gens peuvent avoir du métier d'enseignant: quand je parlais de mes aspirations dans le privé, on me disait rechercher "une planque" avec "pleins de vacances" et une certaine tranquillité d'esprit tout en encaissant "la paye énorme" des profs des écoles fonctionnaires.
Aujourd’hui, je suis plus heureux, plus apaisé, moins stressé. J'ai retrouvé sourire et bonne humeur, alors qu'avant, je passais mes semaines à pester et à me réfugier dans mes activités personnelles pour cacher mon mal-être. Je ne suis pas plus en forme, je ne serai pas plus riche, ni plus reposé. Mais je suis plus heureux, et ça, ça vaut tout l'or ou toutes les carrières du monde ».
A suivre : "Ces profs qui ont quitté l'Education Nationale pour un autre travail".
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