Il aurait pu être pompier ou banquier. Un accident de la route à l'age de 18 ans en a décidé autrement. UN virage à droite avec clignotant. Un vélo qui le double coté droit. Des témoins à décharge. Pas de blessures. Bien que contestant les faits qu'il lui était reproché, un délit de fuite, alors qu'il est venu s'inquiéter de l'état de la cycliste, il s'est retrouvé sur le banc des prévenus. Son premier contact avec la justice. Cette dernière a fini après de nombreuses années par lui donner raison, après l'avoir considéré comme coupable. Luc Frémiot est donc devenu magistrat. D'abord juge d'instruction, avant de rejoindre le parquet. Aujourd'hui, il témoigne dans un livre intitulé "Je vous laisse juges" (Ed Michel Lafon) de son itinéraire sans accident dans cette institution judiciaire, dont il dit lui même qu'elle se sait pas communiquer. "J'ai voulu choisir des mots simples". Pour raconter ses dossiers mais surtout pour nous faire découvrir cette justice sous un autre angle. Plus humain. Plus fragile. Plus sensible. Plus vulnérable. Donc plus attachante.
" On me reprochait d'aller trop loin dans mes dossiers d'instruction"
Ainsi, il évoque le poids de la hiérarchie. Et curieusement, il l'a trouvé plus forte lorsqu'il était juge du siège, donc en principe indépendant, que comme procureur, poste structurellement plus lié à la sphère politique.
(D.Verdeilhan/H.Pozzo)
"le juge d'instruction à tendance à s'approprier un dossier, la vérité est une forme de fiction.
Substitut du procureur, procureur de la république à Douai, substitut général, et aujourd'hui avocat général près la cour d'appel de Douai, Luc Frémiot aime les assises. Parce que c'est à l'audience, dit-il, que le dossier prend vie, prend forme, s'humanise. Par la présence de l'accusé, de la victime. Mais aussi des jurés populaires, émanation du peuple français. Mais si le représentant de la société qu'il est, et le président des assises, sont les deux seuls magistrats à connaître le dossier, Luc Fémiot n'a aucune certitude. Ainsi, dans son ouvrage, il avoue qu'il se refuse à avoir des certitudes. Plus sur le quantum de la peine à réclamer que sur la culpabilité. Critiquant ses collègues qui rédigent leurs réquisitions avant le procès pour ne pas en changer d'un pousse pendant les débats, il confesse qu'il lui arrive de décider de la peine à requérir au tout dernier moment. Pour Luc Frémiot, quelque soit la fonction du magistrat, il doit douter.
(D.Verdeilhan/H.Pozzo)
"on est presque comme une éponge. il reste toujours quelque choses des dossiers"
L'un des dossiers qui a le plus marqué Luc Frémiot, c'est l'affaire dite des "Frères Jourdain". Deux hommes, deux zonards qui avaient enlevé trois jeunes filles à Boulogne sur Mer, puis conduites en camionnette vers une plage du Nord. Elles avaient été violées avant d'être massacrées. Les deux hommes furent condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. L. Frémiot note que les jurés ne sont pas préparés à être confrontés à tant de douleur, de drame. Mais en est-il autrement des magistrats? La succession des affaires criminelles les rendent-ils insensibles? Non, répond-il, nous sommes "des éponges", qui absorbent le malheur des autres.
(D.Verdeilhan/H.Pozzo)
"qui a vécu par l'image périra par l'image"
D'un réquisitoire, on peut quelque fois ne retenir qu'une phrase. Plusieurs années après avoir couvert le procès en appel de l'affaire OM/VA dans lequel était rejugé Bernard Tapie, elle me reste en mémoire. Tant elle résumait la position de l'avocat général Luc Frémiot. En première instance, c'est le procureur de Valenciennes, Eric de Montgolfier qui avait demandé une peine de prison à l'encontre de l'homme d'affaires. Il avait été suivi par le tribunal. Ce magistrat, on s'en souvient, avait choisi durant l'instruction d'affoler la meute médiatique pour permettre au juge Beffy de mener à bien son dossier. A Douai, en appel, il en était autrement. Luc Frémiot se voulait plus discret. plus en retrait, plus observateur, plus témoin du cirque médiatique qui continuait autour de Tapie. D'où, juste avant de requérir une peine de prison qui allait conduire l'homme d'affaires derrière les barreaux, cette petite phrase qui fait mouche....
(D.Verdeilhan/H.Pozzo)
" Il faut regarder un homme qu'on vient de faire condamner"
Synthétiser les charges à l'intention des jurés. Demander une peine juste au regard des faits et de la personnalité. Etre suivi par le jury populaire. Voilà la fonction d'un avocat général. Encore une fois, Luc Frémiot considère être le représentant de la société et non celui de l'accusation. Alors, cela implique une obligation. Continuer à fixer du regard celui dont on a obtenu la condamnation. "Une condamnation, c'est toujours un échec" écrit-il.
(D.Verdeilhan/H.Pozzo)
"Le mari avait dit "tu ne passeras pas Noël". Et tous les jours il y avait un décompte dans la boite à lettres."
Même s'il ne veut pas résumer sa carrière à ce combat, il accepte d'en être considéré comme le porte drapeau. "J'ai été le premier à me lancer à corps perdu. J'étais bien seul en 2003. Aujourd'hui, je suis satisfait d'avoir fait partir un train qui ne peut plus s'arrêter". Vous trouverez sur le site de Francetvinfo le long entretien qu'il nous a accordé sur ce thème. Ce qu'il a proposé, préconisé, appliqué, pour aider les femmes victimes, pour les écarter de leur mari violent, et surtout pour traiter les auteurs de ces coups entre époux ou compagnes. Si en 2010, un Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin, déclare qu'il s'agit là d'une "grande cause nationale", il a fallu batailler dur pour faire changer les mentalités des policiers, des magistrats. Sortir de la simple "main courante" pour arriver à d'authentiques procédures. Pour Luc Frémiot, il est évidemment nécessaire d'intervenir au plus vite. Même si cela se passe dans l'univers privé. De l'autre coté de la porte du domicile. "Intervenir avant de se retrouver devant un cadavre à la morgue" écrit le magistrat. Ce sont deux affaires qui amènent Luc Frémiot à réagir, à ne pas fermer les yeux. La première femme est morte. La seconde dont, il nous raconte l'histoire ici, a eu plus de chance.
(D.Verdeilhan/H.Pozzo)
Luc Frémiot a réussi à faire baisser le taux de récidive dans sa région. Il est désormais consulté par les politiques. en France, comme à l'étranger. Jusqu'au Japon. Mais c'est aux assises qu'il applique au mieux sa philosophie. Ainsi en 2012, la cour d'assises de Douai juge Alexandra Lange pour le meurtre de son mari. Elle a égorgé le père de 4 enfants. Parce qu'elle ne supportait plus les viols, les coups, de son époux. Un calvaire qui dure depuis 17 ans. Représentant de la société, il requiert l'acquittement d'Alexandra. Luc Frémiot se félicite d'avoir été suivi par les jurés.
Je vous invite à le suivre au fil des pages de son livre