...et la justice aussi, hélas.
Mercredi 16 septembre 2015, la chambre de l’instruction de Paris a ordonné la remise en liberté d’un homme condamné, lors d’un premier procès en cour d’assises en 2011, à une peine de 20 années de réclusion criminelle pour le meurtre d’un policier. Cet homme avait interjeté appel de sa condamnation, et était depuis lors toujours incarcéré dans l’attente de son second procès.
Considérant qu’il était anormal qu’aucune nouvelle date de procès n’ait été fixée plus de quatre ans après la première condamnation pour cet homme qui avait passé plus de six années en prison, la chambre de l’instruction a mis fin à sa détention provisoire, ce qui lui permettra de comparaître libre ou, du moins, non détenu lors son nouveau procès.
Pour choquante qu’elle puisse paraître, en premier lieu et à l'évidence aux yeux de la famille de la victime et de ses collègues policiers, cette décision paraît malheureusement justifiée. Il est en effet inacceptable qu’une personne reste placée aussi longtemps en détention provisoire dans la seule attente de son procès.
On peut objecter à cela que l’intéressé avait déjà été jugé par la cour d’assises et condamné à une peine de 20 ans de réclusion et que dans ces conditions, le procès en appel aboutirait vraisemblablement à une seconde condamnation. Rappelons cependant que l’appel devant la Cour d’assises entraîne un réexamen total de l’affaire, le condamné restant présumé innocent et pouvant bénéficier d’un acquittement.
Dans ces conditions, que ce soit en première instance ou en appel, il est nécessaire que toute personne, en particulier détenue provisoirement, soit jugée dans un délai raisonnable.
Tant le droit européen (article 6 de la convention européenne de droits de l’homme) que le droit français (article 144-1 du code de procédure pénale) imposent aux juridictions françaises un principe de célérité, la détention provisoire ne pouvant excéder un délai raisonnable.
On ne peut que constater, au passage, que les réactions politiques qui ont suivi cette libération ne prennent nullement en compte cet impératif et les règles juridiques applicables.
La réaction de M. Valls via Twitter m’a particulièrement interpellée : « Nous ne pouvons accepter la remise en liberté indue d’un meurtrier. @ChTaubira a ordonné une inspection. Les conséquences seront tirées. »
D’une part, rappelons (une fois encore, mais cela ne peut pas faire de mal) que l’homme en question est présumé innocent, et que l’utilisation du terme « meurtrier » sur un réseau d’information public est attentatoire à son droit à la présomption d’innocence. L’intéressé serait à ce titre susceptible d’engager une procédure civile contre le Premier ministre sur le fondement de l’article 6-1 du code civil, protégeant ce droit.
D’autre part, puisque M. Valls manifeste la volonté connaître les causes de ce dysfonctionnement, je pense pouvoir lui communiquer en avant-première, au moins en partie, les résultats de l’inspection ordonnée par la Garde des sceaux : comment, en effet, cet épisode extrêmement regrettable qui trouve son origine dans l’absence d’audiencement d’un dossier criminel quatre années durant, ne pourrait-il pas être lié au manque cruel de moyens de la justice qui ne dispose pas d’assez de magistrats et de greffiers, pour n’évoquer que les moyens humains ? Imagine-t-on le degré d’encombrement d’une juridiction qui ne parvient pas en quatre ans à audiencer un dossier aussi sensible et aussi grave ? Je suis toute prête à être détrompée et à ce que cette inspection révèle que le dossier avait tout simplement été oublié sur une étagère, mais j’avoue que j’en serais particulièrement stupéfaite, ne connaissant aucun collègue, même très défaillant, qui laisserait moisir quatre ans un dossier criminel par pur plaisir.
Ma collègue @Enrobee rappelait hier sur Twitter qu’à compter d’octobre, certains tribunaux n’auraient plus de budget pour acheter les enveloppes nécessaires à l’envoi des convocations aux justiciables. Les délais devant la chambre sociale de la Cour d’appel de Paris pour que soit jugé un litige entre un salarié et son employeur sont actuellement de trois ans. Les délais d’audiencement des cours d’assises sont de plus en plus longs, alors même qu’est en cause la liberté des individus et le jugement de faits ayant causé des dommages infinis.
Ces informations vous paraissent relever du lieu commun ? Normal, ce diagnostic a été posé voilà des années, sans qu’aucune mesure politique ne vienne y modifier grand-chose.
Monsieur le Premier ministre, vous pourrez procéder à toutes les inspections du monde dans cette affaire et dans bien d’autres, elles vous ramèneront à ce constat : la justice n’a plus un rond.