"Apartheid", "Islamo-fascisme" et aujourd'hui "conflit de civilisation", des termes utilisés par Nicolas Sarkozy en son temps... le moins que l'on puisse dire, c'est que Manuel Valls ne fait pas dans la demie mesure lorsqu'il s'agit d'être polémique. Evidemment, les mots sont choisis à dessein, même si le premier ministre a tout de suite précisé que les terroristes menaient une guerre : « non pas contre les valeurs de l’occident mais contre les valeurs universelles ». Pourquoi cliver ? Pourquoi se laisser déborder par des "mots" à charge symbolique trop puissante pour lui ?
Reprendre la main sur la séquence de com' et jouer la carte de l'autorité
La stratégie du clivage est souvent préconisée par des communicants aux nouveaux "entrants" en politique. L'objectif est clair : développer leur surface médiatique. Pour Valls, il s'agit de reprendre la main sur le débat médiatique, tout en le politisant. Stratégie court termiste et dangereuse. Pourtant il n'en est pas à son coup d'essai lorsqu'il est question d'utiliser des termes polémiques. Dès 2013, en tant que ministre de l'Intérieur, il avait évoqué la montée d'un "fascisme islamique" après l'assassinat de l'opposant démocrate tunisien Chokri Belaid. Ces "sorties" lui permettent donc de faire montre de cohérence ("je développe les mêmes idées depuis des années et donc, je suis cohérent") et surtout de capitaliser sur le trait d'image que les Français lui reconnaissent majoritairement : l'autorité. Dans un contexte où il commence à être critiqué pour sa propension à se "hollandiser", c'est une piqûre de rappel en somme. Manuel Valls utilise ces expressions comme des "marqueurs" de son action et de sa "vision" politique. Qu'on y adhère ou non. Et n'oublions pas que les clivages affolent le web et obligent les adversaires à se positionner sur le sujet.
Politiser le débat, via un concept qui lui échappe
L'intention de Manuel Valls était limpide lorsqu'il a prononcé ces mots sur le plateau d'i>télé : radicaliser le débat, convoquer l'esprit du 11 janvier et bousculer son propre camp tout en marchant sur les plates bandes de la droite. Mauvaise stratégie de communication. La guerre de civilisation rappelle bien évidemment le "choc de civilisation" d'Huntington. C'est aussi une expression dont raffole l'extrême droite. Quant aux Républicains, ils ont rapidement trouvé la parade : soutenir Manuel Vall de manière à laisser la gauche s'écharper sur la question : "Moi je salue cette forme de conversion à la lucidité", s’est réjouit Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes. Tandis que Julien Dray rappelait à bon escient : "Je ne crois pas que la civilisation arabo-musulmane est une menace par rapport à la civilisation judéo-chrétienne. Je n’aurais pas utilisé cette expression". Et d'ajouter : "Si nous tombons dans le piège qui nous est tendu d’être saisis par la peur, d’utiliser des raccourcis idéologiques, nous allons créer les conditions d’un affrontement qui n’a pas lieu d’être". Mauvaise stratégie encore parce que le concept lui échappe. L'utilisation de cette expression montre que les mots sont vidés de leur sens par les politiques. Ils sont déconnectés de tout contexte historique pour... un coup de com'. S'il faut penser en politiques et agir en communicants, jamais l'inverse, pour Manuel Valls la communication est intrinsèquement liée à l'action. Et il est là le vrai danger. Pour lui, la communication doit être "performative", au sens de John Austin : produire l'énonciation c'est exécuter l'action. La vraie "guerre", s'il y en existe une, est celle de l'usage des mots au sein des partis et la guerre fratricide pour en être propriétaires.
Les communicants, qu'ils soient politiques ou non, tentent à coup de petites formules d'imposer leurs mots ou expressions "totem". Finie la bataille des idées, aujourd'hui, ce sont les mots qui l'ont emporté et avec eux les raccourcis idéologiques déconnectés de l'Histoire, la grande, et du temps long.
Anne-Claire Ruel
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