Autant prévenir d'emblée, ne vous déplaise, cet billet est totalement partial. Pour moi, Stromae est un artiste rare. De ceux qui, sans oublier les vestiges du passé, hument l'air du temps pour deviner les prémisses du monde à venir. Telle une pythie consultant l'oracle Google, dans son album "Racine Carrée" datant de...2013, il livre une critique sans concession des réseaux sociaux et de leur corollaire maléfique, la dépendance digitale, le tout sur l'air enjoué de Bizet. Hier, 31 mars 2015, est enfin sorti le clip, animé par Sylvain Chomet, le génial réalisateur des Triplettes de Belleville, co-écrit avec le rappeur Orelsan, dont je vous ai déjà parlé ici pour sa critique acerbe et justifiée des "gens de la com'". L'occasion de revenir sur un phénomène de plus en plus prégnant, qui -j'en fais le pari- deviendra un sujet majeur dans les années à venir : le mouvement pour la décroissance numérique.
L'émergence d'un plaidoyer pour la "décroissance numérique"
Oui, bien sûr, le numérique est porteur de changements éminemment positifs : à l'heure des réseaux sociaux, la communication des entreprises et des dirigeants ne peut plus être infantilisante. Dans un jeu de champs contre-champs, les rôles d'émetteur et de récepteur doivent se confondre pour devenir interchangeables. A l'aune de notre agora numérique balbutiante, les règles dévolues au dialogue formulées par Platon nécessitent d'être réhabilitées : écouter, accepter l’objection, ne pas se contredire, être prêt à reconnaître ses erreurs... Plus vivante, moins dogmatique, cette nouvelle forme d'échange réhabilite le partage d'idées. Du bon sens, en somme. Sauf que le pendant de cette société numérique est aussi l'égocentrisme porté à son apogée et l'individualisme forcené, allant jusqu'à mettre à mal notre vivre ensemble IRL. Nous ne dialoguons plus avec nos proches, nous ne cherchons plus à les découvrir et les aimer, plongés que nous sommes dans la lecture frénétique et compulsive de nos notifications Facebook, Twitter, Pinterest, Periscope et autre Instagram.
Pour une communication numériquement responsable. Ou pas.
"L'amour est comme l'oiseau de Twitter, on est bleu de lui seulement pour 48 heures. (...) Et à tous ceux qui vous likent, les sourires en plastique sont souvent des coups d'hashtag" chante Stromae. "En 1875, Georges Bizet comparait l’amour à un oiseau rebelle. 140 ans plus tard et dans des messages de 140 caractères, l’amour est un oiseau bleu", explique l'artiste, qui dénonce la société de consommation et Twitter, tout en orchestrant le lancement en exclusivité sur... la page Facebook de Buzzfeed USA. Ironie du sort, le clip fait un carton sur les réseaux et le staff du chanteur, qui a lancé le compte Instagram de Stromae pour l'occasion il y a une semaine, comptabilise à l'heure actuelle plus de 142 000 followers... Vertige. Il n'empêche, Stromae a -une fois de plus- devancé ses contemporains : depuis quelques mois, émerge un mouvement de remise en cause de la toute puissance numérique et de la déshumanisation des rapports via l'utilisation croissante des réseaux, du flicage sur le web et autres tentatives liberticides. Il me semble que nous sommes en train d'assister à la naissance d'un plaidoyer pour la décroissance numérique. Après la dénonciation farouche de la sur-consommation, nous en venons -enfin- à la condamnation de la sur-consommation médiatique effrénée. Des médias hors-sols, livrant de la communication industrielle réalisée en batterie dans les agences de communication parisiennes.
Mais rassurez-vous, les communicants ont déjà trouvé la parade en vendant maintenant de la "com' sur leur communication responsable", comme en témoigne la nouvelle campagne Biocoop. Et comme dit le "#old" adage, si c'est gratuit, c'est vous le produit.
Anne-Claire Ruel
Coup de cœur, coup de gueule, coup de poing, n’hésitez plus : venez débattre et tweeter. Cette page est aussi la vôtre vous vous en doutez. Pour "Fais pas com’ Papa", un seul hashtag : #FPCP et une seule page Facebook : Fais pas com' papa.