Bien calée dans mon siège, je lorgne avec envie l'énorme cornet de pop-corn de ma voisine. J'ai fini par craquer : lundi 3 septembre à 19h30, au guichet du cinéma AMC niché dans un énorme centre commercial d'Atlanta, j'ai pris mon billet pour 2016 : l'Amérique d'Obama.
La faute à ce juge républicain venu de Virginie qui, à la fin de notre conversation, m'a innocemment glissé : "Est-ce que vous avez vu 2016? Non? Vous devriez, c'est vraiment très intéressant..." C'était la troisième fois en deux jours qu'un échange se terminait ainsi, je me suis dit : ma conscience professionnelle n'en souffrira pas de quatrième. Sans compter qu'avec déjà plus de 20 millions de dollars engrangés (15 millions d'euros) selon le site Box Office Mojo, il devient difficile d'ignorer le phénomène.
Je tombe bien : à Atlanta, le documentaire de Gerald R. Molen et Dinesh D'Souza est sorti le 31 août, jour de mon arrivée. En ce soir de Labor Day (le premier lundi de septembre, férié aux Etats-Unis), la salle est bien remplie. Pas mal de personnes âgées, mais des jeunes aussi et même, pour certains, à l'allure cool.
Pèlerinage sur les traces de Barack Obama, ce Kényan qui s'ignore
Sur fond de musique indienne, les premières images semblent tout droit sorties de Slumdog Millionaire. Dinesh D'Souza, penseur conservateur originaire de Bombay, est, avec Barack Obama, le second héros du film.
Le point de départ de sa narration est le parallèle qu'il fait entre lui et le président : tous deux sont nés la même année, de père non-américain (indien pour D'Souza, kényan pour Obama), ont fait leurs études dans une université prestigieuse, se sont mariés la même année.
Dinesh D'Souza a voulu comprendre ce prestigieux alter ego. Voilà donc le réalisateur parti sur les traces de Barack Obama, en Indonésie d'abord, où le futur président a passé une partie de son enfance. Dinesh D'Souza marche beaucoup dans les rues, et nous explique que l'Indonésie et l'Inde, c'est presque pareil, il y a beaucoup de pauvres, c'est pour ça qu'il arrive bien à s'identifier au président.
Le père, ce héros
De toute façon, le pays qui compte vraiment, c'est le Kenya. C'est là, pense D'Souza, que le futur président a pleinement embrassé son véritable héritage.
En filmant obstinément la tombe de Barack Obama senior, mort en 1982, Dinesh D'Souza nous explique que Barack Obama est devenu ce qu'il est grâce à son père, ou plutôt à "l'absence du père" (ses parents se sont séparés lorsqu'il avait un an).
Je commence à remuer sur mon siège, parce que les analyses psychologiques à deux sous, ça m'a toujours énervée, mais ça doit être un biais personnel : autour de moi, personne ne bronche.
Un psychologue très sérieux vient étayer au gré de questions un brin orientées la théorie suivante : Barack Obama a voulu prouver à son père, absent donc idéalisé, qu'il pouvait accomplir de grandes choses, et réussir là où lui avait échoué.
L'anticolonialisme, clé de voûte de la politique présidentielle
Barack Obama senior était un anticolonialiste. Barack Obama junior abattrait de l'intérieur la puissance néocoloniale de l'Amérique.
Comme Barack Obama est intelligent et connaît les Blancs pour avoir vécu parmi eux, nous explique un expert enflammé, le jeune homme a masqué ses véritables motifs, et surtout évité de jouer "l'homme noir en colère" qui aurait pu rebuter ses concitoyens. Au lieu de ça, il a soigneusement construit sa stratégie : il serait celui qui offrirait aux Américains l'occasion toute trouvée de prouver qu'ils ne sont pas racistes, en votant pour lui, noir certes, mais bien élevé et respectueux. En fait, c'est même sur cette seule base qu'il a été élu, nous explique-t-on.
A ce stade, un petit haut-le-cœur me saisit, j'ai donc du mal à saisir toutes les nuances de l'argumentaire. Heureusement, on revient à l'anticolonialisme.
C'est la clé qui permettrait d'expliquer toutes les mesures anti-patriotiques prises par Obama depuis le début de son mandat. Les limites posées aux forages off-shore dans le golfe du Mexique ? Pour rendre à l'Amérique latine sa pleine puissance dans ce domaine. Les taxes qui écrasent les Américains ? Pour rendre justice au tiers-monde en dépouillant les Américains, qui, après tout, seront toujours plus riches que les pauvres Kényans.
Un fléau qu'il ne tient qu'au spectateur d'arrêter
Heureusement, le président anti-américain n'a pas encore donné la pleine puissance de son idéologie déviante, car il reste sage pour se faire réélire, analyse Dinesh D'Souza. Aux spectateurs de voir ce qu'ils veulent pour le pays...
Musique mélodramatique et nuages noirs envahissent l'écran : c'est la fin du film. Dans la salle, les applaudissements fusent. Devant moi, une vieille dame s'exclame : "Eh bien cette fois, si on ne se réveille pas, on l'aura mérité !" Je regrette décidément le pop-corn.
Disons-le : que ce soit sur la forme (1h29 d'images d'illustration entrecoupées de quelques minutes d'archives et d'interviews filmées en gros plan, ça fait long) ou sur le fond, et même en adoptant un point de vue neutre sur le plan politique, ce film est mauvais.
Dinesh D'Souza, le faux ingénu
Mais il faut reconnaître au réalisateur un certain talent pour flatter les opinions les moins avouables des spectateurs acquis à sa cause. Sa posture d'ingénu en quête sincère de vérité est sans doute son procédé le plus efficace (quoique personnellement son air naïf ait fini par m'irriter au plus haut point).
Dans le film, Dinesh D'Souza lui-même n'est pas dans l'outrance (sur la forme, j'entends). Par exemple, il ne prétend pas, à la manière d'un Donald Trump devenu bouffon de Washington, qu'Obama est né au Kenya, et va même sur ses traces à Hawaï. Mais la place qu'occupe ce pays dans le film est telle qu'on finit par voir Barack Obama comme un homme profondément attaché à ses racines africaines. Alors même qu'il n'y a fait en tout et pour tout que trois voyages d'agrément.
De même, nulle allusion n'est faite à la religion du président. Mais sa collusion supposée avec l'Iran (qu'il ne chercherait pas à arrêter) et sa politique prétendument hostile à Israël laissent le spectateur libre d'imaginer ce qu'il lui plaît, confortant sans aucun doute les positions de certains : s'il n'est pas musulman, il est au moins très proche d'eux.
L'arme fatale de Dinesh D'Souza, c'est son parcours de bon immigré admirateur de Ronald Reagan, qu'il prétend comparer à celui de Barack Obama, ingrat révolté contre le sein qui l'a nourri, fondamentalement anti-américain. Et comment ne pas le croire, puisque c'est un Indien qui le dit ?