Ce pourrait être un copié-collé. Aurane Reihanian, de plus en plus mis en avant par le parti Les Républicains, déploie une sémantique aux parfums frontistes. Le portrait que lui consacre Marianne (en revenant notamment sur ses paroles dans d’autres publications) reprend quelques-uns de ses propos sur l’immigration. Celui qui est pressenti pour la présidence des Jeunes Républicains dit notamment ceci : « Quand je vois qu’à Strasbourg on construit une mosquée avec deux minarets de 36 mètres de haut, je me dis que je ne veux pas que la France des clochers devienne la France des mosquées. (…) La première génération de musulmans, ils ont bossé. Ils ne brûlaient pas des voitures comme leurs enfants » ou, encore, avance cette filiation avec la « génération attentats, une génération qui veut qu’on défende les intérêts de la France, qui refuse les prières de rue, qui refuse la viande halal dans les écoles ». L'histoire du hold-up idéologique de la droite sur le FN se poursuit indéniablement. En y revenant, il s'agit de préciser qu'avec la remise en avant de la dénonciation de l'islamisme, Marine Le Pen a elle aussi endossé le rôle de passeuse. Avant elle, des idéologues du FN s’en étaient emparés ; son père bien sûr mais aussi, par exemple, Jean-Pierre Stirbois et Bruno Mégret. Les morceaux choisis ne font pas qu'exposer ce dernier aspect. Ils se superposent aux propos d'Aurane Reihanian.
Le premier support islamophobe du FN, imprimé par Jean-Pierre Stirbois - une affiche anonyme sur laquelle se détachent ces quelques mots : « Inch’Allah ! Dans vingt ans, c’est sûr, la France sera une république islamique » - apparaît en 1987. Il est emblématique du glissement qu’est en train d’opérer le FN à la fin des années 1980 sur le sujet de l’immigration, plus précisément sur le thème de la « menace islamique ». Le parti lepéniste réinvestit cette propagande peu avant le congrès de Tours de janvier 2011. En mars 2010, dans le cadre des régionales, le Front national de la jeunesse (FNJ) édite l’affiche « Non à l’islamisme » diffusée dans la région PACA. Elle suscitera une demande d’interdiction.
On y voit une femme portant le voile intégral. À côté d’elle est représentée la carte de France, recouverte du drapeau algérien, sur laquelle sont édifiés des minarets reprenant la forme d’un missile. Le message est celui-ci : par ses marques distinctives, l’islam affiche sa volonté de ne pas vouloir s’assimiler. De son côté et dans le cadre de la présidence du FN, Marine Le Pen condamne les prières de rue des musulmans qu’elle compare à une « occupation » pendant une réunion publique à Lyon, sur les terres de Bruno Gollnisch. Elle expose sa ligne politique : « Maintenant il y a dix ou quinze endroits où, de manière régulière, un certain nombre de personnes viennent pour accaparer les territoires. Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c’est une occupation du territoire. C’est une occupation de pans du territoire, des quartiers dans lesquels la loi religieuse s’applique, c’est une occupation. Certes y’a pas de blindés, y’a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants ». Pour ses propos, elle sera renvoyée devant le Tribunal correctionnel de Lyon cinq ans plus tard. Ce faisant, la présidente du FN se réapproprie une thématique laissée de côté par le FN depuis plus de vingt ans et portée, au début des années 2000, par Bruno Mégret et le MNR. Dès les lendemains du 11 Septembre 2001, l’ancien numéro 2 du FN tente de surfer sur les attentats en s’appuyant sur des slogans du type : « Islam, islamistes hors de France, de l’ordre avec Mégret ». La démonstration de l’ancien du FN Jean-Yves Le Gallou est limpide : l’islam n’est pas seulement une religion, c’est aussi un « ensemble de pratiques sociales qui tendent de s’imposer à l’ensemble de la société et (...) à remettre en cause une partie de l’identité française ». Pour l’idéologue de la « préférence nationale », l’islam rend « visibles » les immigrés et, de ce fait, rend visible l’immigration.
Dans son livre programme de la présidentielle de 2012 Pour que Vive la France, Marine Le Pen avance qu'il est « désormais interdit de considérer que la France, ce sont aussi les clochers et les cathédrales par héritage, et que l’irruption soudaine dans notre paysage de signes prosélytes tels que les mosquées cathédrales ou les minarets ne sont pas nécessairement souhaitables » La ligne politique du parti de Marine Le Pen, fondée sur le rejet de l’islam, assimilé en tant que culture et religion à un danger, dénonce ce qu'elle considère comme des « signes religieux ostentatoires ». Dans un entretien à Zaman France (avril 2013), Marine Le Pen précise certaines de ses positions tout en mettant en avant, comme le fait aujourd'hui Aurane Reihanian, l'aspect générationnel : « Il y a toujours eu des musulmans en France. Mais la majorité des musulmans sont arrivés ces trente dernières années. Je ne peux que regretter que cette immigration se fasse sur la base d’une radicalisation religieuse. Or, la multiplication du voile dans les rues n’est pas un simple effet de mode. (...) Il n’y a pas de signes ostensibles dans la religion catholique. Il y a des religieux qui portent l’habit mais c’est autorisé par la loi de 1905. Les Français se sentent agressés dans leurs habitudes. Les voiles, les exigences sur les lieux de prière, les demandes de nourritures spécifiques… tout ça est en contradiction avec notre culture ». Et de conclure : « Par conséquent, ce n’est ni l’islam qui pose problème ni même son exercice mais c’est sa visibilité ».
Il y a quelques jours encore, lors du « Grand Jury » RTL-Le Figaro-LCI, la présidente du FN suggèrait à Laurent Wauquiez de « sortir de l’ambiguïté » et de lui « proposer une alliance politique ». La présidente du FN disait notamment ceci : « Quand j’entends le discours de M. Wauquiez aujourd’hui je me dis : après tout, s’il est sincère, compte tenu des propos qu’il tient, il devrait aller jusqu’à proposer une alliance politique. M. Wauquiez ne peut pas dire sincèrement la même chose que nous, et parfois avec des mots plus crus que les nôtres, et en même temps expliquer que nous devrions être au ban de la vie politique française – il faut être cohérent, il faut être logique ». Rappelons-nous aussi que le mimétisme et la concurrence sémantiques s'opère dans les deux sens. Début mai 2017, dans son discours à Villepinte, la présidente du FN reprenait mot pour mot des passages d’un autre discours de campagne… celui de François Fillon (au Puy-en-Velay, le 15 avril). Au sein du parti, il n’était pas question de contamination politique. C’est un « clin d’oeil assumé à un bref passage touchant d’un discours sur la France » de la part « d’une candidate de rassemblement qui montre qu’elle n’est pas sectaire » assuraient alors en choeur les proches de Marine Le Pen.