Hold-up idéologique de la droite sur le FN

Couverture du Figaro Magazine, 21 septembre 1991.

Les Républicains se sont-ils emparés d’un nouveau cheval de bataille avec le débat sur la nationalité française et ses conditions d’acquisition ? Il y a quelques jours, le député UMP Éric Ciotti proposait de rétablir le « droit du sang » et de réserver le droit du sol aux enfants de ressortissants de l’Union Européenne. Peu après, le président des Républicains Nicolas Sarkozy disait ceci à ses partisans alors réunis : « Faut-il remettre en cause le droit du sol ? Cette question, incontestablement, peut se poser ». En 2003, il déclarait face à Jean-Marie Le Pen : le « droit du sol fait partie de nos traditions ».

C’est une des thématiques privilégiées du Front national. La droite républicaine en a fait sienne depuis plusieurs décennies. L'objectif est clair : il s'agit de séduire ses électeurs à droite de la droite et ceux du FN... alors que le parti d'extrême droite s'impose dans le paysage politique français. Au début des années 1990, le Rassemblement pour la République (RPR) et l'Union pour la démocratie française (UDF) radicalisent leurs discours sur l’immigration et envoient des signes à l’électorat frontiste en reprenant, à leur compte, la forme et le fond du discours lepéniste. Jean-Marie Le Pen « n’ayant pas le monopole de ces thèmes », explique Jacques Chirac (alors président du RPR et maire de Paris) en 1991, il « faut se les approprier ».

Petit rappel.

Le temps des années quatre-vingt-dix

Le 19 juin 1991, lors d'un dîner-débat à Orléans, Jacques Chirac évoque le quartier parisien du XVIIIème arrondissement, la Goutte d’or. Sa description met en scène deux familles. La première est française avec un revenu annuel de 15 000 francs (environ 2 300 euros). La seconde est « entassée avec un père de famille, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses et (...) gagne 50 000 francs (environ 7 600 euros) de prestations sociales sans naturellement travailler ». Jacques Chirac poursuit : « Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, (...) le travailleur français sur le palier (...) devient fou (...). Ce n’est pas être raciste que de dire cela nous n’avons plus les moyens d’honorer le regroupement familial. Le seuil de tolérance est dépassé ».

Trois mois plus tard, Le Figaro titre « Immigration ou invasion ? ». La couverture de l'hebdomadaire reprend la photo d’une Marianne qui porte le voile islamique. Les propos de Valéry Giscard d’Estaing prolongent les précédents. L'ancien Président de la République conseille le retour d’une mesure « traditionnelle » dans l’histoire du droit de la nationalité, le droit du sang : le « déplacement dans l’origine des immigrés exprime une modification de la nature socio-économique de l’immigration. Bien que dans cette matière sensible il faille manipuler les mots avec précaution, en raison de la charge émotionnelle ou historique qu’ils portent, ce type de problème actuel auquel nous aurons à faire face se déplace de celui de l’immigration (« arrivée d’étrangers désireux de s’installer dans le pays ») vers celui de l’invasion (« action d’entrer, de se répandre soudainement », selon la définition donnée par Littré). (...) La facilité des déplacements et l’ouverture des frontières, qui rendent désormais possible de choisir à son gré le lieu d’une future naissance, recommandent de revenir à la conception traditionnelle de l’acquisition de la nationalité française : celle du droit du sang. On est Français si on naît d’un père ou d’une mère française ».

En face, le FN sort « Les cinquante propositions de Bruno Mégret ». Dans le cadre du second colloque de la campagne des régionales en PACA, mi-novembre 1991, le délégué général propose une « contribution au règlement du problème de l’immigration ». Il présente 50 mesures « concrètes » de ce qui pourrait être une « politique de l’immigration efficace et humaine ». Pour lui, il est possible de « concevoir une politique globale et cohérente susceptible d’avoir des effets d’envergure et rapides ». Le FN, dit-il, « pose certes les bonnes questions, soulève aussi les vrais problèmes, mais aussi (...) offre des solutions réalistes, humaines mais déterminées afin de répondre aux angoisses qui tenaillent notre peuple en cette fin de siècle ». Parmi les propositions les plus emblématiques, la huitième proposition - « Rétablir le Jus sanguinis » - prône le droit du sang selon lequel est Français à la naissance toute personne née de parents français. Elle reprend une des idées forces de la thématique frontiste : « Être français, cela s’hérite ou cela se mérite ». Pour le Front national, le code de la nationalité, fondé sur le droit du sol, « privilégie la résidence sur la filiation, il est donc matérialiste et anti-naturel ».

Une sémantique politique loin d’être anodine

Bien des années plus tard, Nicolas Sarkozy annonce la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale (mars 2007), en attendant le lancement d'un débat sur les « valeurs de l'identité nationale, sur ce qu'est être Français aujourd'hui ». Les termes choisis appartiennent au vocabulaire de l’extrême droite. En liant immigration et identité nationale, l'homme politique sait qu'il laisse entendre que l’immigration constitue une menace pour l’identité nationale. Nicolas Sarkozy n'est d'ailleurs pas allusif pendant sa campagne pour la présidentielle de 2007. Son objectif est clair. Il le rappelle dans Le Figaro (26 février 2007) : « séduire les électeurs du Front national ».

Au FN, ils ont bien senti cet hold-up politique et sémantique. La campagne du FN de 2007, conduite par Marine Le Pen, est, certes, considérée comme un échec du point de vue de la stratégie politique. Mais ceux du FN expliquent, avant tout, le mauvais résultat de leur président (10,44 % de voix) par l'attitude du représentant de la droite. Un ancien cadre FN affirme que Nicolas Sarkozy a fait sa campagne sur les « thèmes phares » du FN. Il considère que le discours lepéniste s’est fondu dans celui du futur Président de la République. Seul Jean-Marie Le Pen avait trouvé un « puits de pétrole électoral : l’identité nationale. Sarkozy nous l’a siphonné » continue-t-il. Carl Lang sait, également, que son parti doit reprendre la « maîtrise du terrain politique sur ses fondamentaux. On ne peut plus laisser Sarkozy gambader sur le terrain de l’identité nationale ». De son côté, Louis Aliot revient sur cette période : 2007 n’est pas la campagne qu'ils auraient aimé faire, explique-t-il. Le « discours politique n’a pas eu beaucoup d’incidence à cette présidentielle. Sarkozy parlait comme Le Pen. Les gens ont voté utile. Le score est certes décevant. Mais on est sur une espèce de fleuve qui alimente Nicolas Sarkozy ».

Une nouvelle étape dans les rapprochements rhétoriques des droites françaises s’ouvre trois ans plus tard. Estimant que la France paie, à ce moment-là, les « conséquences de quarante ans d’immigration incontrôlée », le Président de la République établit une corrélation entre l’immigration et la délinquance et/ou l’insécurité. Lors du discours de Grenoble (30 juillet 2010), Nicolas Sarkozy lance une « déclaration de guerre contre les trafiquants, contre les voyous ». Immigration - identité nationale - insécurité : ses propos reprennent les principaux marqueurs du FN. Ce qui fera dire à Louis Aliot : « l’arrivée de Sarkozy a été quelque chose d’inespéré. Il a libéré la parole ».

La suite de l’histoire s’inscrit dans un schéma quasi-similaire. Que ce soit pour la campagne de la présidentielle de 2012 ou à quelques jours du second tour des départementales, lors d’un meeting à Perpignan, le président de l'UMP prolonge sa stratégie. Nicolas Sarkozy peut reprendre, parfois, mots pour mots, la phraséologie de Marine Le Pen et/ou s’inscrire en vrai avec certaines thématiques frontistes. Aujourd'hui, la stratégie et le but perdurent : « droitiser » son discours et attirer les électeurs du FN.

Les anciens de l'UMP Olivier Bettati et Jérôme Rivière seraient sur les rangs pour mener la liste FN des régionales dans les Alpes-Maritimes. Ce ne serait pas les premiers venant de la droite républicaine qui intègreraient le Front national. Certains traduiront ces transferts comme la preuve qu'il existe une porosité idéologique extrême droite - droite. D'autres expliqueront que seul le parti de Marine Le Pen permet une mise en avant et une ascension politiques relativement rapides.

La droite revient régulièrement sur la thématique du droit du sol ; un « vrai débat »  selon Éric Ciotti. Reste à attendre la suite de l'histoire, notamment la campagne présidentielle de 2017... et la désignation du candidat des Républicains. Alain Juppé exprimait récemment sa position. Pour lui, la « suppression pure et simple du droit du sol serait (...) une erreur manifeste » .