Fabien Engelmann, le trublion du FN ?

Fabien Engelmann dans son bureau, à la mairie d'Hayange, le 7 avril 2016 (photo Vincent Jarousseau Hanslucas).

Il y a des hommes au FN qui s’affranchissent de certaines orientations du parti. Fabien Engelmann pourrait bien en être un. Le maire d’Hayange, conseiller à la communauté d’agglomération du Val de Fensch et conseiller régional du Grand-Est, ne vient pas seulement d’accorder un long entretien à Minute le 1er mars ; trois longues pages, pour lui tout seul, dans lesquelles il pousse un « coup de gueule » et où il réaffirme sa « priorité », à savoir « aider les Français pas "des demandeurs d’asile" ». Quatre jours plus tard, Riposte laïque met en ligne une interview de l'élu FN, titrée : « Des groupes d’hommes qui traversent la ville en djellaba, c’est insupportable ! » On ne peut pas dire que l’hebdomadaire d’extrême droite soit en odeur de sainteté au FN… tout comme, d’ailleurs, le site internet Riposte laïque, organisation liée à la mouvance identitaire. Tous deux affichent leur critique sur la stratégie du FN depuis le début des années 2010. Marine Le Pen, elle, montre, depuis un bon moment, sa volonté de s’affranchir de cette extrême droite, incompatible avec la nouvelle image du FN qu’elle cherche à imposer.

« Il y a longtemps que nous n’avions plus de nouvelles de notre ami Fabien Engelmann » avance en chapeau de l'article un des fondateurs de Riposte laïque, Pierre Cassen. « Une bonne raison pour reprendre contact avec lui et causer de la situation… Et il a manifestement plein de choses à dire ». De son côté, Fabien Engelmann ne fait pas mystère de ses liens avec ce milieu. Dans son autobiographie publiée (et préfacée) justement par Pierre Cassen en 2014, Du gauchisme au patriotisme, itinéraire d’un ouvrier élu maire d’Hayange, il dénonce « un dogme mahométan très offensif, dangereux pour la démocratie, pour les droits des femmes et pour nos libertés individuelles ». Il considère que la France est, actuellement, confrontée à un « gros problème de civilisation, d’islamisation rampante ». L’essentiel est là, dans son double positionnement : issu du militantisme ouvrier d’extrême gauche et islamophobe.

Son parcours politique fait preuve de revirements… et c’est peu dire. Petit-fils de rapatriés d’Algérie installés en Lorraine, élevé par des parents Témoins de Jéhovah, Fabien Engelmann adhère à la Fondation Brigitte-Bardot, à Lutte ouvrière, au Nouveau Parti anticapitaliste - qu’il quitte à la suite de la candidature d’une femme voilée dans le Vaucluse - et à la CGT, dont il est exclu en 2011. Entre temps, l’ancien ouvrier municipal rejoint le FN à l’automne 2010. Il est alors un des profils mis en avant par le parti de Marine Le Pen... et accède rapidement à des responsabilités politiques. Membre du bureau politique, du bureau départemental de Moselle et responsable de la huitième circonscription de Moselle, il est nommé conseiller de Marine Le Pen pour le « dialogue social ». Il s’empare du fauteuil de maire au printemps 2014 avec près de 35% des voix dans le cadre d’une quadrangulaire. Aux dernières législatives, il réalise un résultat de 38%

Dans ses deux interviews, le maire d'Hayange réactive cette idée centrale et pérenne du logiciel frontiste : la France vit depuis des années une modification, pour ne pas dire une altération de son identité, causée par le « phénomène migratoire ». L’islam ne fait pas que rendre « visible » les immigrés. Il (sur)expose l’immigration et met à mal l’identité française. Fabien Engelmann revient sur la réouverture de l’Hôtel central qu’il avait fait fermer, invoquant alors des « raisons de sécurité ». La dénonciation d'un « racisme antifrançais », associée à celle de « l’invasion migratoire » dont seraient victimes les nationaux, est mise en avant. Le discours est rodé : la France assure confortablement l’accueil et le « confort » des « migrants » - substitut rhétorique des demandeurs d'asile et des réfugiés - alors que nombre de Français se « battent pour faire face aux réalités quotidiennes ». D’un côté, souligne Fabien Engelmann, « on a des familles françaises qui n’ont rien » – et de l’autre des « milliers de migrants » pour qui le gouvernement parvient à offrir des conditions de vie plus qu’acceptables. Dans cet hôtel, précise l'élu FN, les demandeurs d’asile sont « chouchoutés » bénéficiant de  « confort » : « literie changée, placards, beau coin cuisine, un coin machine à laver avec sèche linge ». Il poursuit ainsi : « mercredi (…) quelques heures après leur arrivée, plusieurs dizaines de personnes sont allées faire leurs courses dans un des supermarchés de la ville avec des bons alimentaires et y ont dépensé 4 000 euros » affirmant que « l’Etat, le département et la préfecture » distribuent ces bons.

Le maire d'Hayange met en avant la visibilité « de cette nouvelle immigration » et, par ricochet, la « peur » de la population hayangeoise. Il explique, d'ailleurs, le constater quotidiennement dans sa ville en s'appuyant sur une sémantique bien à lui : « Vous savez, je suis en permanence sur le terrain, en permanence en contact avec les habitants de la ville. Et lorsque vous avez des groupes d’hommes, qui descendent du foyer ADOMA et traversent toute la ville en djellaba, avec le keffieh palestinien, la gandoura, la chachia, et qui défient chaque personne du regard, c’est insupportable. (…) S’ils adoptent une telle attitude, c’est bien par provocation, rien de plus. Ces tenues, surtout adaptées au climat nord-africain, n’ont aucune raison d’être ici. Il y a bien longtemps que nous n’avons pas vu de tempête de sable à Hayange… Je suis respectueux des lois de la République, et j’estime, que l’expression de la foi doit se faire dans une sphère privée. Ce que je propose, et c’est exactement ce que j’ai expliqué au responsable de la salle de prière locale, c’est de dire à ses fidèles de se changer sur place. Ainsi, nous n’aurons plus cette gêne de la part des habitants, qui nous appellent en mairie ».

Pour le Front national, le gouvernement a abandonné la défense des Français pour celle des immigrés et le parti lepéniste s’occupe, lui, justement prioritairement des Français. La « priorité nationale » entend priver les étrangers de leurs droits politiques, économiques et sociaux. Ce discours surexploite un contexte anxiogène. Il permet d’offrir une dénonciation acceptable pour l’électeur avec une conclusion qui s’impose : les migrants, les islamistes, les intégristes, en somme, les immigrés ne sont pas seulement inassimilables. Leur intégration est devenue « impossible » pour une raison essentielle : ils se dressent contre les valeurs de la République Française.

Fabien Engelmann, le trublion du FN ? Sur le fond, pas vraiment... mais sur la forme indéniablement : certains de ses actes et propos s'inscrivent volontairement dans la provocation. Parmi ses premières mesures municipales, rappelons notamment la fête du cochon (avec la présence de militants radicaux). Dans la même veine, il diffuse la photo d’une crèche constituée de morceaux de charcuterie...  Le maire d'Hayange n’a pas été reconduit au bureau politique lors du dernier congrès du FN. Il ne fait pas parti de l'équipe de campagne de Marine Le Pen comme, par exemple, les maires FN Julien Sanchez et Steeve Briois. Paris le surveille. Deux jeunes chargés de mission, des anciens du Front national de la jeunesse proches de Florian Philippot, « travaillent » à Hayange. Depuis son début de mandat, Fabien Engelmann a été confronté plusieurs fois à la justice. Un de ses adjoints, Francis Langlois, a été condamné le 7 décembre 2016 à un mois de prison avec sursis, reconnu coupable de violences par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une incapacité supérieure à huit jours. Il s'est pourvu en appel. Fabien Engelmann a été mis en examen, le 18 février, dans le cadre d'une enquête sur les conditions de location de photocopieurs destinés aux écoles de la ville. Il conteste avoir commis une infraction. Le maire d'Hayange se trouve coincé entre son étiquette FN et son action municipale, régulièrement entachée de polémiques... un erreur de casting pour le FN ?