À Hayange, on ne remet pas en cause qu'une histoire

Place de l’église 
à Marspich (photo Vincent Jarousseau Hanslucas)

Décidément, le FN a bien du mal à admettre certains moments de l’histoire française. Parmi eux, le 19 mars 1962, à savoir la date officielle de la fin de la Guerre d’Algérie. À Béziers (ville soutenue par le FN aux municipales) et à Beaucaire, les maires ont débaptisé les rues portant cette date. Dans la ville de Robert Ménard, on circule désormais dans la « rue du Commandant Hélie-de-Saint-Marc (1922-2013) ». Julien Sanchez a opté, lui, pour la « rue du 5 juillet 1962. Massacre d'Oran. À nos morts ».

À Hayange, il n'est pas question de débaptisation mais d'une commémoration loin d’être passée inaperçue. Le 19 mars 2016, 
Place de l’église 
à Marspich, la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie commémore le 19 mars 1962. Francis Langlois, adjoint au maire, lit un discours rédigé la veille avec Fabien Engelmann dans lequel il assimile cette date à une défaite militaire. Pour le maire d’Hayange, la seule date valable pour marquer la fin du conflit en Algérie est celle du 5 décembre 1962.

Il faut se représenter la scène : un adjoint qui lit à haute voix un communiqué idéologique – avant celui du secrétaire d’État chargé des Anciens Combattants - devant une population et des membres de l’association d’anciens combattants abasourdis. Rapidement, des cris de protestation se font entendre. Certains sur place sont évidemment émus par ces propos qu’ils jugent inacceptables. Francis Langlois, imperturbable, continue sa lecture. Crystal est là. La jeune fille se souvient de ce texte qu’elle juge « totalement faux ». Surtout, elle entend et voit des anciens combattants suppliant d’arrêter l'élu hayangeois. Scène insupportable pour cette lycéenne… qui s’approche de l’élu et tente de lui arracher son papier des mains. Crystal explique son geste et les conséquences immédiates : « Je ne pouvais pas supporter de voir pleurer les anciens combattants. Ce sont eux qui ont écrit l’histoire. J’ai décidé de lui enlever le discours. Il m’a violentée plusieurs fois ».

Ces quelques minutes ont été filmées… et partagées sur les réseaux sociaux. Cette capture d'écran montre de façon irréfutable l’attitude violente de Francis Langlois vis-à-vis de Crystal :

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Lui explique qu’il lisait simplement un discours validé par le maire la veille. Fabien Engelmann - qui a refusé de se rendre sur place - souligne le contenu de son communiqué qui « revenait sur la mascarade du 19 mars. On ne compte pas les massacres qu’il y a eu ensuite pendant deux longues années ; les harkis et les algériens pro Algérie Française qu’on a lâchement abandonnés. Le FLN socialiste les a massacrés ». Le maire d'Hayange soutient son adjoint. Ce dernier justifie son attitude ainsi : « C’est un coup monté par l’extrême gauche. Tout était orchestré. Des caméras filmaient. Je n’étais agressif en rien. Je n’ai fait que repousser des gens qui sont venus m’agresser alors que j’étais détenteur de l’autorité publique ». Crystal porte plainte contre l'adjoint de fabien Engelmann.

Début novembre, Francis Langlois ne comparaît pas devant le Tribunal correctionnel de Thionville. Par contre, Crystal est là. Elle revient sur le 19 mars 2016… sur ces quelques minutes pendant lesquelles l’élu lui a porté un coup et l’a repoussée par la gorge alors qu’elle voulait lui prendre son discours. L’avocat de Francis Langlois plaide la relaxe pour son client. Le 7 décembre, Francis Langlois est, de nouveau, absent pour entendre sa condamnation à un mois de prison avec sursis. L’adjoint au maire est reconnu coupable de violences par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une incapacité supérieure à huit jours. Fabien Engelmann considère cette condamnation « profondément injuste » et réitère sa confiance à son adjoint qui, poursuit le maire d'Hayange, « va bien évidemment faire appel et bénéficie donc toujours de la présomption d’innocence ».

Pour ces élus FN, la Guerre d'Algérie ne s'arrête aucunement le 19 mars 1962. Julien Sanchez est catégorique. Il faut « effacer » ce jour et « donner un nom qui rappellera la vraie histoire et qui ne blessera personne ». Le maire de Beaucaire explique vouloir « laver l'affront » de cette « date polémique », imposée par le gouvernement. Son interprétation historique est celle-ci : il s’agit de dire aux Français qui ont souffert là-bas, les harkis, les pieds noirs (un électorat visé par le FN) - ces hommes qui ont subi un « vrai crime contre l'humanité » - qu'il ne les oublie pas. Le fait d'avoir une « rue du 19 mars 1962 » peut être « considéré comme une insulte pour tous ceux qui son morts après ».

C'est indéniablement une gestion singulière d'un événement central et de son empreinte mémorielle dans le capital historique de l'extrême droite française. À Hayange, on ne fait pas que remettre en cause une histoire. On s’en prend physiquement à une jeune femme pour la faire taire. Crystal se dit aujourd'hui « soulagée » par la décision de justice. Elle sait aussi que, même si la « condamnation est là, l'appel va prendre du temps ». Comme elle l'a expliqué au tribunal, elle ne parvient toujours pas à voir Francis Langlois. Ces quelques minutes restent un « traumatisme » pour elle. En même temps, la lycéenne insiste sur un fait : que ce verdict mette un « terme au mal que ce représentant du FN peut faire ».