Printemps 1975 : le FN tient son troisième congrès (1-4 mai), dans l’Hérault. Aucune information n’en ressort. L’indifférence est générale. Pendant cette première décennie d'histoire du FN, les conférences de presse de Jean-Marie Le Pen se font, au mieux, devant une petite dizaine de journalistes. Les médias ne s’intéressent pas à ce qui n’est qu’un groupuscule politique ; la plupart du temps, les informations relatives au FN paraissant dans les publications de son obédience, Minute et Rivarol. Les années quatre-vingt annoncent une rupture sur ce plan. En ces temps d’émergence électorale du Front national, la presse ne fait plus l’impasse sur le « phénomène Le Pen ». D’un traitement quasi-inexistant, les médias surexposent le parti et son président.
Les questions sont connues. Les médias font-il le jeux du FN ? Assiste-on à une surmédiatisation du parti des Le Pen ? Peut-on faire l'impasse médiatique sur le FN ? François-Henri de Virieu ne le cachait pas. Inviter Jean-Marie Le Pen lui assurait une excellente audience. Le présentateur de L’Heure de Vérité savait que ceux qui appréciaient - ou détestaient – le président du FN se donnaient rendez-vous devant leur écran. Et à plusieurs reprises, Jean-Marie Le Pen a expliqué un des objectifs de ses « dérapages » : faire parler de lui et de son parti à n'importe quel prix. Mais ce que l'on connait moins, ce sont certaines réactions de l'ancien président du FN à la découverte d'Unes de la presse française. L'homme a été affecté, pour ne pas dire déstabilisé, par certaines révélations.
Nous sommes au milieu des années 1980. Le FN considère que la gauche, inquiète des alliances en train de se nouer à la veille des cantonales, commence une entreprise de diabolisation à son encontre ; une stratégie visant à dissuader la droite de conclure tout accord avec le parti d’extrême droite. C’est à ce moment précis que la presse révèle certains aspects liés au passé de Jean-Marie Le Pen. Après le succès des Européennes (juin 1984), des sujets polémiques refont surface. Parmi eux, l’héritage Lambert et la Guerre d'Algérie. En juillet 1984, Le Canard enchaîné accuse Jean-Marie Le Pen d’avoir torturé des Algériens en 1957. L’ancien député porte plainte. Début 1985, Libération titre en une : « Plusieurs de ses victimes témoignent aujourd’hui : torturées par Le Pen ».
Les témoignages publiés par le quotidien accablent visiblement le président du FN. Lorrain de Saint Affrique arrive le matin de la publication de Libération à Saint-Cloud. Il trouve un président, seul, sur le perron de son hôtel particulier qui glisse à son conseiller en communication : « Il tombe de la merde, j’ai mis mon ciré. » Le président du FN sait que de telles accusations peuvent compromettre sa carrière politique. Jean-Marie Le Pen est « persuadé que le sujet de l’Algérie peut être exploité, il renforce le vote des pieds-noirs, des militaires et rapatriés – mais d’une manière totalement opposée », explique Lorrain de Saint Affrique. Une plainte est déposée à l’encontre de Libération. Le Bureau politique affiche son unité autour du chef, bien que de nombreux courriers de militants et de sympathisants manifestent leur trouble.
On connaît la suite. Jean-Marie Le Pen, par l'intermédiaire de sa stratégie politique, fait les gros titres de la presse régulièrement, notamment par le biais de certaines de ses déclarations. La réflexion post-Congrès de Tours du co-fondateur du FN est limpide : « Marine est bien gentille, mais sa stratégie de dédiabolisation ne nous a rien apporté. Les médias nous ignorent. Un Front gentil, ça n’intéresse personne. Je n’ai pas cherché le scandale pour briser l’omertà, mais reconnaissez que cela marche ». Et Alexandre Dézé d'ajouter une autre dimension. Tout en soulignant « l'attention démesurée » portée par les médias sur le FN, notamment pendant les Régionales de décembre 2015, le maître de conférences en science politique à l'Université de Montpellier rappelle que le FN a « l’atout de faire vendre des journaux ».
Un président et une présidente avec deux regards différents, pour ne pas dire opposés, sur certains points. Au début des années 2000, Marine Le Pen entreprend la « dédiabolisation » du FN. La réflexion sur le traitement médiatique du parti y est centrale. Celle qui est présidente de l’association Générations Le Pen décrète une certaine transparence. Elle affirme vouloir montrer le FN tel qu’il est et n’avoir rien à cacher aux journalistes. C’est vrai, explique-t-elle que, « peut-être sous mon impulsion en 2002, tout s’ouvre. (…) Les journalistes entrent, et ils s’aperçoivent que ce sont des Français comme les autres, qui parlent de politique, qui ne disent rien de scandaleux, qui expriment leurs convictions avec leur cœur, avec leurs tripes, avec leur âme. Et je pense que ça a contribué, à tout le moins, à normaliser les relations entre les médias et le Front national ».
L’histoire de la presse et du FN est tumultueuse. Disons qu’entre les deux, les rapports ont toujours été compliqués. À plusieurs reprises, le Front national s’est posé en victime de la presse tout en dénonçant les « lobbies qui pèsent sur l’information ». Aujourd'hui, dans certaines mairies FN, la presse locale fait les frais de cette histoire ; les maires sont à couteaux tirés avec elle.
« Mesdames, Messieurs, vous me verrez peu cette année, nous aurons peu d'occasions de nous rencontrer directement », affirme Marine Le Pen dans son discours des vœux à la presse en janvier 2016. La présidente du FN aurait donc entamé une sorte de diète médiatique (afin de redorer son image). Une décision et attitude qui lui semblent difficilement tenables... et qu'elle annonce, notamment, au 20 heures de TF1. D'autres cadres du parti affichent leur (omni)présence dans les médias. Le récent passage TV de Marine Le Pen au journal télévisé de France 2 (29 juillet) a laissé des commentaires positifs sur l'attitude du journaliste, Julien Bugier face à Marine Le Pen. D'autres avant lui ont été salués.. comme Anne-Marie Dussault lors de son émission 24/60 (23 mars 2016) avec la présidente du FN sur la chaîne publique Radio Canada.