« On n’a pas besoin de vos leçons Madame Le Pen »

Marine Le Pen lors de l'émission 24/60 (20 mars 2016 - capture d'écran)

L’émission 24/60 du 23 mars 2016 avec Marine Le Pen a débuté depuis quelques minutes sur la chaîne publique Radio Canada. La journaliste Anne-Marie Dussault dit à la présidente du FN : « Vous êtes venue donner des leçons aux Canadiens. On n’a pas besoin de vos leçons Madame Le Pen ». La suite des échanges est du même acabit.

Comme son père, et encore plus les veilles de présidentielles, Marine Le Pen se rend à l'étranger en quête de contacts et d'images. La « dédiabolisation » du FN mariniste passe par les relations internationales. Le FN entend s'afficher avec des partis fréquentables, des formations politiques « crédibles et de tout premier plan », assure Marine Le Pen. Aussi, les quelques jours qu'elle vient de passer au Canada doivent être considérés comme un échec.

L'international aux temps du père

Le FN n’a pas encore deux ans. Dès le printemps 1974, Jean-Marie Le Pen tente d’établir des relations avec ses homologues étrangers, notamment avec les nationalistes belges et le MSI. Mais c’est surtout à partir des années 1980, des premiers succès électoraux du FN, que le parti d’extrême droite entend asseoir sa stature politique à l’internationale. À l’Assemblée nationale, « ma mission n’est pas de faire des lois mais d’ouvrir Le Pen à l’international », explique Pierre Ceyrac, élu aux législatives de 1986.

Le président du FN cherche à se donner une étoffe de présidentiable à la veille de la présidentielle de 1987. Jean-Marie Le Pen se rend aux Etats-Unis. Il discute quelques minutes avec le président américain Ronald Reagan dont il « admire beaucoup l’aspect libéral (...) et l’anticommunisme », continue Pierre Ceyrac. Aidé de Jean-Marie Le Chevallier et de Charles de Chambrun (ancien secrétaire d’État au commerce extérieur sous Pompidou et député UNR de Lozère), Pierre Ceyrac est également l’initiateur d’un rapprochement avec la communauté juive. Jean-Marie Le Pen prononce une intervention devant des membres du Congrès juif, à l’hôtel Waldorf Astoria, dans laquelle il va jusqu’à soutenir la création d’Israël. En septembre 1987,  le « détail » met, en quelque sorte, un terme à la tournée présidentielle de Jean-Marie Le Pen.

Jean-Marie Le Pen considère qu’il est reçu à l’étranger comme une personnalité d’envergure internationale. Pendant sa « tournée » à l'étranger, il approche plusieurs chefs d’État. Japon, Philippines, Corée du Sud : parfois, l’échange ne dure que quelques minutes. Il ne manque pas d’être immortalisé par les communicants du FN, la photo largement diffusée :

LP à l'internationale

... et les commentaires, dans les livres hagiographiques du FN, restent en décalage avec la réalité : « De fait, Jean-Marie Le Pen impose alors sa dimension internationale : après avoir rencontré le pape Jean-Paul II, la présidente philippine Cory Aquino, le Premier ministre japonais Nakasone, il entame une visite à travers les Etats-Unis et s’entretient avec le président Ronald Reagan à l‘occasion d’une convention de conservateurs américains à laquelle il a été invité. Plus tard, Jean-Marie Le Pen entreprendra un périple africain au cours duquel il rencontrera un certain nombre de chefs d’État. M. Houphouët-Boigny en Côte-d’Ivoire, M. Bongo au Gabon, et des responsables politiques locaux, notamment au Zaïre ».

Bis repetita avec Marine Le Pen

À l’automne 2003, Marine Le Pen se rend aux États-Unis accompagné de Louis Aliot, d’Éric Iorio, de Pierre Ceyrac (qui n’a plus d’activité politique) et de Guido Lombardi, un ancien représentant de la Ligue du Nord italienne. Ce dernier a rencontré Marine Le Pen quelque temps auparavant et considère qu’elle a un avenir politique. Il pense surtout qu’elle doit endosser le rôle de son père qui, lui, est « fini ». Que vont faire Marine Le Pen et son équipe à New York et à Washington ? Selon Carl Lang, c’est un « voyage clé, quasi secret » pendant lequel elle crée des contacts déterminants. Elle « déverrouille des portes, des feux rouges qui vont devenir des feux verts, vis-à-vis de la communauté juive, par exemple ». Pendant une semaine, les voyageurs « rencontrent des gens de l’administration Bush, des personnes de la CIA et du FBI » et établissent des connexions. Marine Le Pen veut changer l’image du FN, notamment sa relation avec la communauté juive. Ce voyage doit être considéré comme un remake de la tournée de son père, en 1987. Il reste méconnu et, en même temps, essentiel pour comprendre l’ouverture médiatique des années 2010.

Fin 2011, une délégation du FN se rend aux États-Unis. Conduite de nouveau par Guido Lombardi, elle part avec les mêmes objectifs que celle de 2003 mais, de nouveau, ne parvient pas à les atteindre. La toute nouvelle présidente du FN ne s’affiche pas avec des personnalités politiques éminentes, si ce n’est Ron Prosor, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, un entretien qualifié très vite de « malentendu » par les autorités israéliennes. Louis Aliot se rendra par la suite, dans le cadre d’une visite privée, en Israël. Il faut « montrer aux Franco-Israéliens que le FN a évolué. Que le parti de Marine Le Pen n’est plus de la génération de son père », précise sur place Michel Thooris, candidat FN pour les Français de l’étranger dans la huitième circonscription, qui accompagne Louis Aliot. Ces déplacements, qualifiés par le compagnon de Marine Le Pen de « déterminants », s’inscrivent dans la phase de séduction de la communauté juive. Mais sur ce point également, la présidente du FN échoue.

Un rendez-vous canadien raté

Le voyage de Marine Le Pen au Canada est à situer dans ces histoires de rendez-vous manqués et ratés. Sur place, et dès son arrivée le 19 mars, des manifestants (lors de sa conférence de presse) brandissant ce mot d'ordre « Le Québec emmerde le Front national ». La suite n'en est pas moins mouvementée :

Aucune rencontre avec des politiques de premier plan. Certes, la présidente du FN prétend que « des gens ont cherché à (la) voir, des rendez-vous ont été fixés à leur demande et ils ont annulé ces rendez-vous ». Elle ne rencontre aucun homme politique canadien. Lorsqu'on lui demande avec quel parti politique canadien le FN a le plus d'affinités, elle répond : le Parti Québécois. Le 19 mars, Pierre Karl Péladeau, Chef du Parti Québécois, écrit sur sa page Facebook, à propos de la « présidente d'un parti politique français en visite au Québec (...) Au nom du Parti Québécois, je tiens à dissocier formellement notre formation politique et ses instances de toute activité ou rencontre, issue d'initiative personnelle, avec des représentants de ce parti dont l'histoire, la doctrine et les propositions sont aux antipodes des valeurs du Parti Québécois ». 

Des critiques ouvertes de la politique canadienne. La présidente du FN qualifie de « folie », de « grosse erreur » l'annonce du gouvernement Trudeau, à savoir l'accueil de 25 000 réfugiés syriens au Canada. Marine Le Pen ne fait pas que traiter de « naïfs » les gouvernements « face à l'immigration » en les qualifiant de « Bisounours ». Elle critique vigoureusement la politique canadienne, qualifiée de « dangereuse ».

Une interview sur Radio Canada plus que délicate à gérer. D'ailleurs, sur le site du FN ne figure pas le passage de Marine Le Pen à Radio Canada, remarque Yann Barthès lors du petit Journal du 24 mars. Il est, par contre, mentionné sur le profil Facebook de la présidente du FN... et accompagné de nombreux commentaires (sans doute sélectionnés), plutôt favorables, à sa prestation :

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Des « mésaventures internationales » critiquées par l’ancien conseiller international de Marine Le Pen Aymeric de Chauprade : « Il n’y a pas de surprise pour moi ! Quand on préfère s’entourer de médiocres sans conviction plutôt que des gens qui travaillent et préparent les voyages, le résultat est sans appel. Quand on emporte dans ses bagages son arrogance et son inculture internationale, on ne récolte que le mépris en retour ».

Les résultats d'un sondage Odoxa pour iTELE et Paris-Match publié le 25 mars. À la question « Si Marine Le Pen était élue présidente en 2017, pensez-vous qu'elle représenterait bien la France à l'étranger ? » 69% des personnes interrogées considèrent que Marine Le Pen ne représenterait pas bien la France à l'étranger.

Comment qualifier le dernier voyage de Marine Le Pen ? Pourquoi la présidente du FN n'a-t-elle pas rencontré de responsables politiques canadiens ? Florian Philippot revient, sur le plateau de BFMTV le 28 mars, sur l'épisode canadien : « Vous dites "des responsables politiques canadiens n'ont pas voulu la voir". Mais elle n'a pas demandé à les voir. Est-ce que vous pensez que ça intéresse Marine Le Pen d'aller voir le Sarkozy québécois, le Jean-Christophe Lagarde québécois ou le Jean-Christophe Cambadélis québécois ? Non, pas du tout. Elle ne va pas aller voir l'UMPS locale, ça ne l'intéresse pas. Ils disent la même chose qu'en France avec encore plus de naïveté. Ça n'a aucun intérêt » .

Des propos qui pourraient avoir du mal à convaincre ceux qui les entendent.