Hold-up idéologique (bis) de la droite sur le FN

Dans le monde de Barbapapa, Barbidur est décrit comme un « grand sportif. Il est très fort et il aime gagner. Il aime aussi commander. Il aime tout ce qui se mange. Avec sa panoplie de Sherlock Holmes (le chapeau et la loupe) et l‘aide de sa fidèle Lolita, il joue au grand détective. Barbidur est un peu trop content de lui, mais c‘est un brave type ». Le tweet de Marine Le Pen - « Ce soir Nicolas Sarkozy c'est Barbidur » - est publié quelques heures avant le meeting du Président de Les Républicains à Saint-André-lez-Lille dans le Nord. Ses partisans avaient prévenu : le discours du soir de leur candidat à la primaire serait « fondateur » et « déterminant ».

Il ne lui a pas fallu bien longtemps pour renouer avec une thématique commune des droites françaises : celle de l’ « identité nationale ». Ce 8 juin, Nicolas Sarkozy donne le ton de sa campagne pour les primaires. « Dans les années qui viennent, la France restera-t-elle la France ? C’est cela le premier défi. Le plus grand. Le plus fondamental » entend-on dans une salle à moitié remplie et d'appeler le « peuple de France » à se « réveiller » pour défendre l'identité nationale et l'autorité de l'État.

C’est à l’occasion de sa campagne pour la présidentielle de 2007 qu’il s’approprie le concept de l’ « identité nationale ». Au FN, ils ont bien senti cet hold-up politique et sémantique. Jean-Marie Le Pen avait trouvé un « puits de pétrole électoral : l’identité nationale. Sarkozy nous l’a siphonné » rapporte alors un ancien cadre du parti de Jean-Marie Le Pen. Aux lendemains de son élection, Nicolas Sarkozy reprend ces deux termes pour baptiser un des quinze ministères du gouvernement Fillon, celui de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire.

« Identité » et « national »

Deux mots qui appartiennent à la sémantique des droites… et un marqueur intemporel du FN. Ils font le lien entre l’identité et la nation et excluent celui qui est autre : l’étranger. Le « nous », les Français s’oppose au « eux », les islamistes. En 2007, Nicolas Sarkozy choisit d’associer, ou plutôt d’opposer, l’ « identité nationale » et « l’immigration ». Il laisse ainsi entendre que l’immigration constitue une menace pour l’identité nationale. Nicolas Sarkozy n'est d'ailleurs pas allusif pendant sa campagne. Il le dit clairement dans Le Figaro (26 février 2007) : il veut « séduire les électeurs du Front national ».

D’après le décret du 31 mai 2007, le Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire « participe, en liaison avec les ministres intéressés, à la politique de la mémoire et à la promotion de la citoyenneté et des principes et valeurs de la République ». Deux ministres s’y succèdent : Brice Hortefeux (18 mai 2007-15 janvier 2009) et Éric Besson (jusqu'au 13 novembre 2010). Dans sa circulaire du 2 novembre 2009, destinée aux préfets, Éric Besson lance officiellement le grand débat sur les « valeurs de l'identité nationale, sur ce qu'est être Français aujourd'hui ». Les citoyens sont invités à se prononcer, notamment sur le site internet www.debatidentitenationale.fr. Le 2 novembre 2009, à la question : « Qu’est-ce qu’être Français ? » la première réponse tombe six minutes après l’ouverture du site : « C’est avoir une carte d’identité française ».

En face, le FN n'est pas au mieux de sa forme. Il ne s'est toujours pas relevé de la scission mégrétiste. En 2009, il comptabilise un peu plus de 13 000 adhérents. Les derniers historiques ont démissionné en début d'année. Marine Le Pen n’est pas encore présidente du FN et s’immisce dans le débat. Dans une tribune (4 novembre 2009), « Pour une République VRAIMENT Française ! », elle revient sur la « déconstruction de l’identité Française depuis 30 ans ». Pour le FN, il s'agit de retrouver les « voix de l’identité et de l’unité nationales ». Les électeurs et militants du parti d'extrême droite sont inviter à s'exprimer sur un site mis à leur disposition : identité nationale.net.

La notion de l’identité nationale imprègne l’espace politique français pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Une nouvelle étape dans les rapprochements rhétoriques des droites françaises s’ouvre en 2010. Estimant que la France paie, à ce moment-là, les « conséquences de quarante ans d’immigration incontrôlée », le Président de la République établit une corrélation entre l’immigration et la délinquance et/ou l’insécurité. Lors du discours de Grenoble (30 juillet 2010), Nicolas Sarkozy lance une « déclaration de guerre contre les trafiquants, contre les voyous ». Immigration - identité nationale - insécurité : ses propos reprennent les principaux marqueurs du FN. Ce qui fera dire à Louis Aliot : « l’arrivée de Sarkozy a été quelque chose d’inespéré. Il a libéré la parole ». Jusqu'en 2012, la suite de l’histoire s’inscrit dans un schéma quasi-similaire. La stratégie et le but du Président de la République perdurent : « droitiser » son discours et attirer les électeurs du FN.

À l’été 2015, Nicolas Sarkozy se « confesse » à l’hebdomadaire Valeurs Actuelles. De nouveau, il s’adresse aux électeurs tentés par le vote FN. L'objectif clairement annoncé est la présidentielle de 2017. Nicolas Sarkozy demande aux électeurs « de ne pas poursuivre la politique du pire. Voter Front national au premier tour, c'est faire gagner la gauche au second. C'est aboutir au même résultat que la situation actuelle. Au final, c'est donc le statu quo (…). On doit lutter contre le FN en essayant de convaincre ceux qui veulent voter pour lui, en apportant des solutions à leurs angoisses, et non pas en les méprisant ou en leur donnant des leçons ». Après avoir rappelé les préoccupations essentielles de ses compatriotes, le « chômage, l'immigration, l'insécurité, trois sujets sur lesquels ils ont le sentiment qu'on ne leur dit pas la vérité », il poursuit : la « question de la confiance sera centrale en 2017 » tout en insistant sur « l'inquiétude profonde des Français sur nos valeurs et notre identité ».

Aujourd'hui, le contexte est radicalement différent qu'en 2007, notamment du fait du positionnement de Nicolas Sarkozy au sein de son camp. Quant au FN, son histoire actuelle ne s'inscrit pas seulement dans une dynamique électorale et politique inédites. Le parti a repris la maîtrise du terrain politique sur ses fondamentaux. À partir de son socle idéologique intemporel – l’identité nationale –, le FN porte plus que jamais sa thématique phare, accompagnée d'autres orientations : le combat contre l’immigration, lié à l’insécurité et à la « question centrale de l’absence de frontières nationales » : priorité accordée aux Français, réforme du code de la nationalité avec suppression du droit du sol, suppression du regroupement familial, suspension des demandes d'asile en cours d'examen, reconduite des clandestins aux frontières... répression accentuée et budget renforcé dans le domaine de la sécurité.

Fin mai, à l'occasion du Rassemblement des Journées de Béziers, Robert Ménard revenait sur le détonateur de son initiative : « Je suis las de voir les droites d’accord sur l’essentiel, sur l’urgent, et d’abord l’identité, et être incapables de s’unir face à la gauche. (…) Mais, à situation exceptionnelle, tentative exceptionnelle. Face à la marée migratoire, personne n’a le droit de s’offrir le luxe d’attendre. (…) Je ne veux pas appartenir au camp des coupables, de ceux dont on dira : il n’a rien fait pour empêcher ça ». Le maire de Béziers poursuivait avec ces quelques mots : « Les électeurs votent FN pour l’identité, contre l’invasion migratoire, et rien d’autre ! »  La « question identitaire » : un élément de la campagne des candidats à la primaire de la droite ? Oui, et bien au-delà...