« Tziganes », « Gitans », « Manouches » aujourd’hui. « Bohémiens » ou « Égyptiens » hier – pensez à l’Esméralda de Notre-Dame de Paris. Autant d’appellations partielles ou imprécises utilisées par les pouvoirs publics et les populations européens pour désigner des populations nomades, installées depuis mille ans dans les Balkans et arrivées au 15ème siècle en Europe occidentale. Et aujourd’hui comme hier, face à la difficulté de gérer ces populations, les pouvoirs publics hésitent entre des politiques de sédentarisation et de contrôle. Et ce fut parfois bien pire.
Au 17ème siècle, Louis XIV les expédie aux galères.
Dès 1666, par souci d'éviter le vagabondage transfrontalier et par défiance pour leur utilisation par certains nobles, notamment, Louis XIV décrète que tous les Bohémiens de sexe masculin doivent être arrêtés et envoyés aux galères - sans procès. 16 ans plus tard, en juillet 1682, il confirme et durcit cette politique : tous les Bohémiens mâles, dans toutes les provinces du royaume sont condamnés aux galères à perpétuité, leurs femmes rasées et leurs enfants enfermés dans des hospices afin de « purger le royaume » de « cette engeance malfaisante ».
Quant aux nobles qui auraient eu l'idée de leur apporter leur protection ou de les employer souvent comme troupes d’appoint, mauvaise pioche : ils risquaient la confiscation de leurs domaines.
1802 : tous les Roms du Pays Basque sont arrêtés.
En décembre 1802, le préfet des Basses-Pyrénées, considérant que « … la plupart des criminels condamnés à mort ou aux fers (…) appartiennent à cette horde dangereuse ou ont été entraînés par leurs liaisons avec elle à contracter l'habitude du crime (…) », fait arrêter en une seule nuit tous les Bohémiens du territoire, soit 500 personnes.
Son idée ? Les déporter par bateau vers la Louisiane. La guerre qui fait rage sur mer entre l’Angleterre et la France napoléonienne l’en empêche. Les femmes et les enfants sont alors dispersés dans des « dépôts de mendicité » et les hommes sont affectés de force à plusieurs grands travaux publics : canal d'Arles, canal d'Aigues-Mortes, construction de routes dans les Hautes-Alpes… Leur détention et ces travaux forcés dureront près de trois ans.
Des esclaves Roms en Europe jusqu’au 19ème siècle
A leur arrivée en Europe centrale, les Roms se mirent sous la protection des nobles et des monastères, pour pouvoir exercer leurs métiers traditionnels. Avec le temps, ce statut prit une forme particulière : la robie (du slave « robota », travail, qui donnera… robot), forme d’esclavage qui rappelle d’assez près le système féodal du servage. Le rob appartient à un maître, noble ou religieux, qui peut le vendre quand il le souhaite et lui impose chaque année un impôt qui conditionne sa liberté de déplacement. Seule consolation, le rob lui-même pouvait racheter sa liberté, et la revendre ailleurs, comme dans le système esclavagiste romain. C'est au passage une des raisons qui expliquent que les Roms portent souvent leurs richesses sur eux, bien visibles : colliers, bijoux, dents en or… Historiquement, elles marquaient leur volonté de racheter leur liberté.
En Roumanie, le système perdurera et on vendra des Roms par familles entières jusqu’au milieu du 19ème. L’affiche ci-dessous date de 1852.
1912 : le fichage généralisé
Au début du 20ème siècle, la multiplication des rapports de gendarmerie, la banalisation du télégraphe et les récits publiés dans la presse donnent aux Français l’impression qu’un nombre immense de Roms s’installent en France. Sous la pression populaire, le système de surveillance, basé sur un contrôle de la circulation des fameuses roulottes, on passe au fichage généralisé. Une loi de 1912 crée un système de fiches fondé sur le système anthropométrique du fameux Bertillon : les « nomades » sont enregistrés systématiquement.
Le contrôle se renforce dans les années 20. A terme, les Roms – dont beaucoup sont on ne peut plus français – doivent remplir CINQ documents au moindre contrôle, en plus de leur carte nationale d'identité. Tous doivent être signés par les pouvoirs politiques au moindre déplacement, fut-ce entre deux communes voisines. Au passage, ces « Bohémiens » sous contrôle sont jugés bien assez français pour payer l’impôt et faire leur service militaire...
Ce fichage sera en tout cas extrêmement utile au gouvernement de Vichy pour lui permettre de repérer les nomades. 6 000 d’entre eux seront internés en France même, dans des conditions lamentables. Les autres, en particulier dans le Nord Pas-de-Calais, seront déportés, que ce soit en tant que tels ou en étant parfois pris pour des Juifs par les autorités nazies.
La grande Dévoration de la Seconde Guerre Mondiale
Ces dernières leur réservent le même sort qu’aux Juifs : incarcération, stérilisation, déportation, travail forcé jusqu’à l’épuisement, exécutions sommaires, conditions de vie abominables et chambre à gaz pour finir.
Même traitement donc, mais dans la mémoire Rom, cette politique d’extermination porte un nom à part, différent de la Shoah ou de l’Holocauste. Les Roms l‘appellent le Porajmos : la Dévoration. Selon les études des historiens, on juge que 195 à 250 000 Roms sont morts dans les camps de concentration, plus d’un quart de la population européenne de l’époque. Pendant des années après la guerre, la République fédérale d'Allemagne considérera encore que les mesures prises contre les Tsiganes avant 1943 étaient une politique légitime de l’État et ne nécessitaient aucune réparation.
Ce n’est qu’en 1982 qu’Helmut Kohl reconnut le génocide tsigane.