A chaque édition du Tour de France, c’est la même chose : le sujet du dopage revient sur le devant de la scène. Que Lance Armstrong, parfaitement qualifié sur le sujet, en remette une couche ne fait que renforcer le phénomène. Et comme chaque année, le débat se concentre sur le cyclisme, ce qui est un rien injuste, tant le dopage est un phénomène universel et pas franchement neuf. Comme dirait Alexandre Vialatte, le dopage remonte à la plus haute Antiquité.
Cuissots de chèvres, lait maternel et testicules de taureau
Les premières sources datent des Jeux Olympiques – pas ceux de l’ère moderne, ceux qu’inventa la Grèce au 8ème siècle avant J.-C. Toutes les cités y envoient leurs champions, espérant qu’ils ramènent les prestigieuses couronnes de lauriers (ou de… céleri) réservés aux vainqueurs. Courses de chars, lancer de disque ou de javelot, lutte, cent mètres (192, en fait)… : l’athlétisme est né en Grèce. Et la tricherie avec.
Pour commencer, peu d’athlètes se privent de sacrifier à tel ou tel Dieu pour qu’il leur accorde ses faveurs – ou mieux, pour qu’il pète les genoux de leurs adversaires. Amulettes, plantes, prières, potions magiques diverses… Et lait maternel : certains emmènent avec eux de toutes jeunes mamans dont ils tètent le lait avant les épreuves, pour renforcer leurs capacités. Ce qui n’est d’ailleurs pas faux, médicalement parlant : le colostrum est truffé de substances anabolisantes.
D’autres pensent absorber les capacités des animaux dont ils se nourrissent et à quelques jours des Jeux, choisissent donc leurs menus avec un soin scrupuleux. Les lutteurs mangent du porc, réputé pour sa résistance. Les sauteurs se tournent vers la viande de chèvre. Les lanceurs et les lutteurs, eux, choisissent l’animal le plus puissant possible, symboliquement parlant : le taureau. Avec une préférence pour les testicules, pour des raisons symboliques qui se passent de commentaires. Désuet ? Pas tant que ça. A en croire de nombreux témoignages, les avants de certains clubs de rugby mangeaient systématiquement du sanglier dans les années 80, avant un match…
Comme aujourd’hui, on lutte contre le dopage : à Olympie, à Némée ou à Delphes, des juges arbitres examinent de très près les athlètes en commençant par leur renifler le bec, histoire de vérifier qu’ils n’ont pas absorbé de vin pour en tirer un effet coup de fouet. Les contrevenants sont punis sévèrement : à la honte publique s’ajoute des amendes salées, destinées à financer les statues des Dieux alignées le long des sanctuaires.
Alcool et caféine, mamelles du dopage moderne
Au 19ème et au 20ème siècle, le thé, le chocolat ou la caféine sont utilisés par de nombreux sportifs qui pensent en tirer de meilleurs réflexes et une vigilance accrue – mais c’est l’alcool, la substance reine. Pendant toute la Première Guerre mondiale, ses effets seront exploités par les états-majors. Dans l’armée française, chaque poilu se voit attribué chaque jour une quantité de vin rouge qui ne cessera d’augmenter au cours du conflit. Les distributions de gnôles, juste avant l’assaut sont monnaie courante. On estime que les soldats y puissent la force morale et le cœur au ventre qui leur permet de sortir de la tranchée.
Lors des JO de 1904, Thomas Hicks fait depuis longtemps la course en tête au cours du marathon quand il commence à brutalement se sentir mou du genou à 10 kilomètres de l’arrivée. Qu’à cela ne tienne : son entraineur lui fait avaler une rasade d’alcool, avant de lui injecter pour faire bonne mesure une dose de strychnine ! Et rebelote 5 kilomètres plus loin. Le tout sous les applaudissements de la presse et d’un public enthousiastes. Quatre ans plus tard, l’Italien Dorando Pietri reprend la même recette et vire en tête à son entrée dans le stade. Chargé comme une mule à l’atropine, épuisé, il commence par… se tromper de sens, avant s’effondrer à quelques mètres de l’arrivée. Il sera disqualifié : pas pour s’être dopé, mais pour avoir été porté jusqu’à la ligne d’arrivée par des officiels, dont un certain Arthur Conan Doyle…
En 1919, Suzanne Lenglen remporte son premier Wimbledon à 20 ans. L’officiel qui lui a remis la coupe a dû se retenir de respirer au moment de lui claquer une bise, dans la mesure où la « Divine » devait puer le cognac à vingt mètres : dès le premier set, son père lui en avait expédié une flasque qu’elle siffla devant tout le monde, famille royale comprise. Ça détend, ça désinhibe et aujourd’hui encore, ça n’est interdit que dans certains sports. Il faut dire qu’en 1967, l’un des participants à une compétition de tir organisée en Autriche, rond comme une queue de pelle, avait… tiré sur le jury.
L’Annapurna, vaincu par l’homme et la chimie
Le dopage n’est pas réservé aux compétitions classiques. Même la tauromachie n’est pas épargnée – jusque dans les années 90, les toreros qui fumaient un petit joint pour se détendre avant d’aller combattre une bestiole de 500 kilos dans l’arène n’étaient pas rares.
La plupart des spécialistes estiment aujourd’hui que les douze sommets de plus de 8000 mètres que compte la planète ont été gravis par des alpinistes chargés comme des mules – et je ne parle pas du sac à dos. C’est le cas de Herzog et Lachenal dont l’organisme est saturé d’amphétamines quand ils parviennent enfin au sommet de l’Annapurna, en juin 1950. De quoi réduire la sensation de fatigue et renforcer la volonté des deux hommes, un effet d’ailleurs connu de longue date puisque les athlètes allemands prenaient déjà des amphétamines aux Jeux de Munich, en 1936. Les soldats anglais, eux, reçurent plus de 72 millions de comprimés de benzédrine pendant la Seconde Guerre mondiale. Les pilotes de la RAF en prenaient notamment pour supporter des cadences de combat invraisemblables. Sans les amphétamines, la Bataille d’Angleterre aurait pu mal tourner, et la guerre avec…
Ce léger renfort chimique n’empêchera pas Herzog, devenu ministre des Sports, d’être à l’origine de la première loi antidopage française, votée en 1965 – l’une des premières du monde. C’est déjà un peu tard pour lutter contre les techniques toujours plus fines et plus indétectables que permet la chimie contemporaine. Deux ans plus tard, l’anglais Tom Simpson s’effondre pendant le Tour, en pleine ascension du Ventoux. On retrouvera plusieurs tubes d’amphétamine dans son maillot.