Jeudi 21 février, quatre portraits d’Emmanuel Macron ont été décrochés des murs de quatre mairies différentes par des militants de la lutte contre le dérèglement climatique. Ce mode d’action a répidement été dénoncé par Bruno le Maire : dans un tweet, le ministre de l’Économie et des Finances évoque un acte inacceptable qui porte atteinte aux symboles de la République, notion un peu imprécise qui se prête un peu trop facilement aux réactions scandalisées, parfois injustement. L’occasion rêvée d’un petit rappel de ces fameux symboles.
Quels sont les symboles républicains officiels ?
C’est la question à cent balles, si on veut bien me passer l’expression. Sur le papier, la Constitution de la 5e République est extrêmement claire et en cite trois dès son article 2.
« L'emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L'hymne national est « La Marseillaise ». La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Un drapeau, un hymne, une devise : logiquement, le débat devrait être clos mais la France ne se limitant pas à sa Constitution, d’autres symboles sont également sur les rangs quand il s’agit de symboliser la France ou son régime actuel, la République.
D’autres prétendants
Première candidate de taille : Marianne. En pied ou en buste, la poitrine découverte ou non, les cheveux noués ou détachés, le crâne orné d’un diadème, d’une couronne ou du bonnet phrygien inspiré du pileus, ce bonnet de laine porté à Rome par les esclaves libérés, la silhouette familière de la jeune femme figure sur un nombre invraisemblable de supports. Des anciennes pièces de monnaies du temps du franc aux statues abritées dans la plupart des mairies (sans qu’aucun texte ne y oblige) en passant par une foule d’objets, des assiettes décorées en passant par les timbres émis par la Poste, elle est partout. Elle figure surtout depuis 1999 sur le logotype de la République, logo placé sur l’ensemble des pièces et des documents officiels émis par les services de l’État. Difficile de lui nier le rang de symbole de la République dans ces conditions, que la Constitution soit muette ou non à son sujet…
Deuxième aspirant sérieux, le 14-Juillet, fête de la Nation depuis 1880. Et les symboles, c’est comme les trains : le premier peut en cacher un autre. La loi Raspail, qui a la particularité de comporter un seul article, se garde bien de préciser officiellement quelle date on célèbre et se contentre d’indiquer sobrement que « La République adopte le 14 Juillet comme jour de fête nationale annuelle ». Pratique, puisque le 14 juillet peut être une référence à deux événements, la prise de la Bastille en 1789 symbole (un rien rapide) de la fin de la monarchie, et la Fête de la fédération de 1790, elle-même organisée ce jour-là pour sceller la réconciliation nationale et – croyait-on alors – la fin de la Révolution. Bref, une date qui ménage la chèvre et le chou…
Troisième aspirant sérieux : le… coq et son cri. Eh si : il n’y a guère de rencontre sportive où on ne trimballe pas un malheureux gallinacé couvert de rubans sur le terrain, son « cocorico » est devenu une interjection qui annonce un motif de fierté nationale et il figure sur un grand nombre de logos comme ceux de la FFF ou du XV de France, et personne n’a oublié Footix… Il existe même une race officielle chargée d’incarner la France éternelle : la Gauloise dorée. Mieux que ça, le coq est sans doute l’une des allégories les plus anciennes du pays, plus vieille en tout cas que tous les emblèmes cités jusque-là : il est associé aux rois de France dès la Renaissance avant de se faire éclipser un temps par l’aigle impérial choisi par Napoléon, qui ne devait pas aimer le poulet. Sous la Restauration, il remplace même le lys sous la Restauration. Et depuis 1951, il orne régulièrement la poitrine des Maires puisqu’il figure sur leur insigne officiel, « sommé d'une tête de coq d'or barbée et crêtée de gueules ».
D’autres candidats peuvent aussi déposer leur dossier, comme le faisceau de licteur tout droit hérité de la République romaine, qui figure sur les passeports des Français, le monogramme RF qu’on trouve souvent sur la façade des écoles ou des mairies, ou l’hexagone, qui figure toujours sur certaines pièces de 1 et de 2 euros.
Le portrait du Président de la République est-il un symbole républicain ?
C’est manifestement la position de Bruno Lemaire, position qui ne tient guère en dépit d’un usage qui fait qu’on trouve en effet le portrait officiel du président en exercice dans la plupart des mairies et des administrations de France. Mais aucun, littéralement aucune loi ni aucun règlement ne l’impose et rien n’empêche un maire ou un fonctionnaire de décrocher demain le portrait du président sans que personne puisse y trouver quoi que ce soit à redire, du moins sur la base d’un texte officiel.
Pour être précis, la pratique qui consiste à afficher un peu partout le visage ou la silhouette du chef de l’Etat s’inscrit dans une tradition qui n’a pas grand-chose de républicain mais relève plutôt d’un grand classique dans l’imagerie du pouvoir : installée par Adolphe Thiers, le premier président de la IIIe République, la coutume s’inspire directement des portraits officiels de la monarchie, mise au goût du jour au siècle de la photographie.
Depuis, chaque portrait officiel est passé au peigne fin par les commentateurs et les spécialistes de la sémiologie qui étudient attentivement les subtilités de chaque cliché : choix du photographe, arrière-plan, tenue, posture, direction du regard, format… Ainsi, le premier à être passé du noir et blanc à la couleur est Charles de Gaulle, le premier (et le seul) à avoir choisi un format horizontal est Valery Giscard d’Estaing, le premier (et le seul) à avoir choisi un format carré est François Hollande, etc…
Que les clichés du président traduisent quelque chose, sans doute ; qu’une tradition vieille de 150 ans en ait fait un incontournable dans les hôtels de vie, très bien ; que le portait d’un président symbolise la République, certainement pas : par définition, celle-ci n’est pas liée à la figure de celui qui n’est jamais que son chef à titre temporaire. C’est bien pour ça que l’ensemble de ses symboles ne sont pas incarnés, à la notoire exception de Marianne – qui change d’ailleurs régulièrement de visage.