Certains historiens s’en doutaient un petit peu, c’est désormais scientifiquement établi : dans des conditions extrêmement précaires, les premiers colons américains durent avoir recours en 1610 au cannibalisme de survie, dévorant donc une jeune fille avec une maladresse manifeste, qui dit assez le désespoir et l’urgence de cet acte atroce. Un cas sans doute extrême, mais pas si rare que ça – et plus récemment que ce qu’on pourrait croire : les États-Unis ont connu plusieurs cas de cannibales malgré eux. Autant dire qu’on s’en tire bien en mangeant de la dinde, à Thanksgiving.
Ronald Reagan, acteur, président et descendant de cannibales
En 1980, la campagne présidentielle américaine bat son plein. Carter, le président démocrate sortant, affronte le républicain Ronald Reagan, ancien acteur dont les gaffes et la relative désinvolture donnent quelques frayeurs à ses partisans. Ils eurent une occasion de plus de transpirer lorsqu’un universitaire et généalogiste américain, Paul Riggs, affirme preuves à l’appui que deux des oncles de Ronald Reagan en avaient bouffé un troisième, du côté maternel. Et de sortir les pièces du procès qui s’ensuivit.
Les trois frères Blue s’étaient perdus dans les montagnes rocheuses du Colorado. Ils se retrouvèrent pour finir isolés loin de tout, coincés dans une grotte par un blizzard interminable et bloqués par la neige, sans la moindre source de nourriture à proximité. L’un des oncles du futur Président, Alexandre, finit par mourir d’une blessure. Les deux frères restants, Daniel et Charlie, durent se résoudre à boulotter le cher disparu pour survivre eux-mêmes – avec succès d'ailleurs, puisqu’ils finirent par s’en tirer.
La cour de Denver acquitta Tonton Daniel et Tonton Charlie, considérant que la faim et des circonstances exceptionnelles les avaient fragilisés mentalement. Reagan en fut quitte pour rassurer ses concitoyens à la télévision : "Pas de panique : le cannibalisme n’est pas héréditaire."
Tu aimes beau-papa ? Reprends-en.
Tout le monde connait l’histoire des rugbymen uruguayens dont l’avion s’écrase en 1972 dans les Andes, et qui ne durent leur salut qu’à la consommation des corps des passagers morts dans l’accident. Une histoire équivalente s'est déroulée en 1979, au beau milieu des États-Unis, très exactement dans l’Idaho. Un soir de mai, le Cessna 172 de Norman Pischke s’écrase au beau milieu de nulle part, en pleine montagne – lui meurt de ses blessures à un mile de l'avion en tentant d'aller chercher des secours. Trois survivants sont en revanche sortis sans une égratignure de la carlingue : Donald Johnson, un cinquantenaire canadien, sa fille cadette, Danno et l’un de ses gendres, Brent. La nuit est glaciale à cette altitude, même en mai : Donald meurt de froid au cours de la nuit, non sans avoir laissé son épais manteau à sa fille. Beau geste ? Certes. Il fit pourtant encore mieux, quoique post mortem.
Perdus, loin de tout et sans aucun moyen d’appeler des secours, les deux jeunes gens épuisent d'abord tout ce qu’ils peuvent trouver en guise de nourriture dans les alentours : mousses, graines… En vain. Ils s’affaiblissent à vue d’œil et la triste alternative se fait jour : il ne leur ne reste plus qu'à se laisser mourir - ou à bouffer Donald. "Nous avons parlé à Dieu et nous avons prié. Nous avons décidé de le manger (…) C’est ce qu’il aurait voulu", a confié Brent à un journal local plus tard. Après avoir repris des forces en vivant ainsi sur la bête pendant une quinzaine de jours (quand même), ils marchèrent cinq jours avant d’être enfin recueillis, à une trentaine de kilomètres du lieu du crash.
Viande congelée sur le Proteus
En 1881, une expédition polaire est lancée par les États-Unis, sous l’autorité du capitaine Greely. Le Proteus part avec 27 membres d’équipage pour installer au beau milieu de l’Arctique la première station météorologique polaire. Le bateau sera porté disparu… trois ans ! En 1884, l’un des navires expédiés à la recherche de l'équipage tombe enfin sur le camp des rescapés, à bout de force et d’épuisement. Ils ne sont plus que huit, dont le capitaine, installés dans un semblant de campement à proximité de l’endroit où le Proteus avait fini par couler, brisé par la banquise. Ils sont dans un état épouvantable (l'un d'eux meurt d'ailleurs sur la route du retour), réduits à dévorer quelques vêtements en peau de phoque. Près d’eux, douze cadavres sont étendus sur la glace.
Les survivants sont accueillis en héros, une fois rentrés au pays. Très vite pourtant, les pires rumeurs se mettent à courir et les langues se délient. Certains membres de l'équipage de secours affirment plus ou moins ouvertement qu’aucun des corps retrouvés ne portaient plus la moindre trace de chair. Or, les cadavres ne se décomposent pas dans le froid arctique… La conclusion était évidente. Les marins décédés n’étaient pas laissés en surface en raison de la dureté du sol, mais bien parce qu’ils servaient de garde-manger. A chaque décès, les survivants gagnaient ainsi quelques semaines de répit. Il semble bien que dans un cas au moins, les marins n'ont d’ailleurs pas eu la patience d’attendre la mort d’un des agonisants.
L’affaire fit du bruit ; frustrés par le silence total des survivants sur la question, les journaux se répandirent en rumeurs non vérifiées et en récits plus fantaisistes et épouvantables les uns que les autres. En août 1884, la justice américaine ordonna l’exhumation d’un des corps ramenés de l’Arctique à l’état de squelette, celui du lieutenant Kislingbury. Les légistes durent se rendre à l’évidence : les chairs avaient bien été raclées jusqu’à l’os, au couteau.
Après avoir longtemps nié tout acte de cannibalisme, du moins méthodique, Greely finit par se réfugier dans le mutisme. En tout cas, le froid conserve : il ne mourut que bien plus tard, en 1935, à 91 ans.