En avouant avoir sciemment menti devant l’Assemblée nationale, Jérôme Cahuzac a sans doute mis fin à sa carrière politique. Au demeurant, il est loin d’être le premier à s’être ainsi fait prendre en flagrant délit de mensonge public éhonté, « les yeux dans les yeux ». Retour sur trois grands menteurs rattrapés par la patrouille.
1 Un Président pris à la gorge (profonde)
Le contexte
A quelques mois de l’élection présidentielle américaine de 1972, cinq personnes sont arrêtées dans la nuit du 17 juin au Watergate Hotel, le siège du quartier général du Parti Démocrate. Le flagrant-délit du siècle : les « cambrioleurs » s’apprêtaient en réalité à placer des micros dans les chambres des hauts responsables du parti opposé au Président. Très vite se pose une question clef : Nixon savait-il ? A-t-il couvert ou pire, commandité l’opération ?
Le menteur
Cinq jours plus tard, devant 400 journalistes, Nixon jure ses grands dieux qu’il n’y est pour rien : « La Maison-Blanche n'est en aucune manière impliquée dans cet incident-là. » Avant d’être triomphalement réélu dans la foulée…
La ténacité de deux journalistes du Washington Post, alimentée par le célébrissime informateur « Gorge Profonde » poussera la justice à creuser l’affaire. En dépit de nouvelles dénégations ("Je ne suis pas un escroc") Nixon sera pour finir contraint de dévoiler les enregistrements de conversations confidentielles entre lui et ses conseillers. L’une des bandes ne laisse aucune place au doute : Nixon ment sciemment depuis deux ans. Pire, il fait tout son possible pour entraver l’action des juges à coups de procédures plus ou moins hasardeuses. De quoi justifier cent fois le lancement d’une procédure de mise en accusation – le fameux impeachment.
Les conséquences
« Tricky Dicky » ne s’en remettra politiquement pas : il démissionne le 8 août 1974. Quelques semaines plus tard, Gérald Ford le gracie, stoppant ainsi toute possibilité de poursuites. Vingt ans plus tard, Clinton échappera de fort peu à une procédure du même ordre pour une sombre histoire de pi... de cigare.
2 Philippe le Bel : des méthodes musclées
Le contexte
1307 : Philippe le Bel règne depuis plus de vingt ans sur le pays le plus peuplé et le plus puissant d’Europe, la France. Il a entamé le décisif mouvement de centralisation qui permettra la naissance de l’État moderne, agrandi le territoire et renforcé l’administration – mais sa politique coûte cher. Assez pour que le "Roi de Fer" lorgne de plus en plus ouvertement sur les richesses insolentes accumulées par un ordre d’anciens moines soldats plus ou moins reconvertis dans la finance : les Templiers.
Le mensonge
En septembre 1307, le roi ordonne l’arrestation de l’ensemble des Templiers présents en France en invoquant l’autorisation du pape Clément V… qui ne l’a jamais donnée, bien au contraire. Le souverain pontife se fend d’une lettre furibonde que la chancellerie royale va faire mine de n’avoir pas reçue : le 13 octobre, les Templiers sont arrêtés et accusés de tous les maux – dont celui, terrible, d’hérésie. Peu désireux de voir traîner les procédures, le roi pèse de tout son poids dans des procès truqués de A à Z. Quelques tortures et quelques bûchers plus tard, une partie des accusés jugée en hâte n'est déjà plus là pour défendre leur cause. Les procès suivants s'éterniseront mais en 1314, le dernier grand-maître de l'Ordre, Jacques de Molay, meurt dans les flammes sur l’île de la Cité.
Les conséquences
À court terme, c’est le jackpot : le Roi confisque les domaines et les biens de l’Ordre. À long terme, la coïncidence veut que la malédiction lancée par Jacques de Molay sur le lieu de son supplice (« Vous serez maudits jusqu’à la 13ème génération de votre lignée ! ») ouvre de fait une période de cagades en tous genres : Philippe le Bel meurt trois mois plus tard d'une chute de cheval. Ses trois fils ne se succéderont sur le trône que le temps d’y poser leur royal fessier ou à peu près. En moins de 15 ans, la dynastie des Capétiens s’éteint, le règne des Valois commence – et bientôt, la guerre de Cent ans.
3Il ne s'est rien passé à Canterbury
Le contexte
Depuis 1162, l’archevêque de Canterbury Thomas Becket fait à peu près tout son possible pour exaspérer son ancien ami, le roi d’Angleterre Henri II. L’idée ? L’empêcher de prendre le contrôle du clergé catholique anglais que le Pape n’a pas la moindre envie d’abandonner au souverain. Excédé par un énième affront, le roi s’exclame en public : « Quoi, parmi tous ces lâches que je nourris, aucun n'est donc capable de me venger de ce misérable clerc ? » Quatre chevaliers ne se le font pas dire deux fois et foncent à bride abattue à Canterbury. À grands coups d’épée, ils y découpent en deux parties non égales le malheureux archevêque, au beau milieu de la cathédrale ! Un crime d’une violence symbolique inconcevable… Mieux, les quatre pieds nickelés ont répété à qui voulait l’entendre qu’ils agissaient au nom du roi.
Le Pape n’est pas très content.
Le menteur
Pendant deux ans et contre toute évidence, Henri II va jurer sur tous les tons qu’il ne voit pas ce qu’on lui reproche, qu’il n’a rien dit, rien fait et qu’il a un alibi. Sommé de traquer les meurtriers, il répond benoîtement qu’il n’en a pas les moyens. Pire, il ne cherche même pas à donner le change en confisquant leurs biens et leurs terres… Attitude butée qui s’avère désastreuse : Thomas Becket est vite révéré comme saint et martyr dans toute la Chrétienté. Affaibli par une série de révoltes, le roi perd son bras de fer avec Rome.
Les conséquences
Deux ans après le meurtre, Henri II accepte une pénitence un tantinet humiliante : après une nuit de prière devant la tombe de sa victime, entièrement nu, il confesse ses péchés avant de subir trois coups de fouets de la part de chacun des 80 moines de la cathédrale, sur le parvis et en public.