C’est parti pour la foire d’empoigne : les programmes scolaires, c’est comme la corrida ou la vraie recette du gratin dauphinois, on finit toujours par se jeter la vaisselle à la tête. Après la question de la mort par asphyxie des langues anciennes, c’est le contenu des programmes d’Histoire qui fait jaser.
Avant de poursuivre, un détail : je suis à titre personnel très loin d’être un défenseur acharné de la réforme scolaire en général et des nouveaux programmes d’histoire-géographie en particulier - au contraire. J’estime en particulier que donner 2h30 par semaine (trois heures en comptant l’enseignement moral et civique) aux professeurs d’histoire-géographique est une vaste blague compte tenu de la dimension des savoirs qu’on leur demande de transmettre.
Autre chose : ce programme, évidemment critiquable, n’est pas gravé dans le marbre : il est soumis jusqu’à mi-juin aux enseignants de la discipline et peut donc évoluer.
Il reste que la plupart des reproches qui partant de la classe politique ou de certains commentateurs relèvent sinon de la mauvaise foi, du moins d'une lecture partielle des documents. Retour critique sur quatre grandes critiques, piochées à droite ou à gauche.
« L’enseignement de l’Islam est obligatoire mais pas celui du christianisme »
C’est faux. C’est pourtant la grande trouille de certains : « en 5e, l’Islam est enseigné et le christianisme ne l’est pas ! ». Et effectivement : c’est parce qu’il l’est en… 6e. La confusion vient du fait que désormais, l’Éducation nationale offrira une certaine marge de manœuvre aux enseignants : libre à eux d’évoquer ou non tel ou tel contenu, au-delà d’un corpus de base imposé.
Les programmes sont disponibles ici,et aucun doute possible : les trois grands monothéismes sont bel et bien étudiés entre la 6e et 5e. À leur entrée au collège, les élèves découvriront le judaïsme et le christianisme, dans l’ordre chronologique. Ordre qui se confirme avec l’apparition de l’étude de l’Islam en 5e, tout aussi obligatoire - d’ailleurs, ça ne fait jamais que 40 ans… Difficile de reprocher à l’Education nationale d’aborder la dimension historique d’une foi partagée par 1,2 à 1,5 milliards de fidèles dans le monde.
Ce qui est en revanche exact, c’est que la partie « Une société rurale encadrée par l’Église » est optionnelle en classe de 5e. Mais le grand thème qui englobe cette question, lui, est bien baptisé « Société, Église et pouvoir politique dans l’Occident chrétien ‐ 11e‐15e siècles » : l’Église sera nécessairement évoquée, d’autant que la construction du royaume de France et la consolidation du pouvoir royal sont expressément étudiées. Or, cette construction s’est précisément faite avec – et parfois contre – l’Église.
« On n’aborde plus les Lumières »
C’est là encore faux, pratiquement parlant. Au sein du thème 1 qu’étudieront les élèves de 4e « L'Europe et le monde 17e – 19e siècles », le sous-thème « Sociétés et cultures au temps des Lumières » est en effet une option. Il est en revanche impossible et impensable d’étudier la Révolution française, enseignement obligatoire, sans revenir sur le rôle des Lumières dans les bouleversements de la fin du 18e et dans les révolutions françaises et américaines en particulier.
Enfin, la question des Lumières se situe à la croisée d’enjeux littéraires, sociaux et philosophiques qui dépassent largement le seul enseignement historique. Voltaire, Rousseau, Montesquieu et les autres seront bien étudiés par les élèves, notamment au lycée où ils devraient difficilement pouvoir y couper. Qui plus est à un âge peut-être plus adapté à ces questions complexes à aborder à 13 ou 14 ans – bien des enseignants de collège peuvent en témoigner.
« On remplace l’approche chronologique par une approche thématique »
C’est plutôt faux, la preuve :
- Apparition et fondements des civilisations et Antiquité en 6e ;
- Moyen Age et début de l’époque moderne en 5e ;
- 17e et 18e siècles, Révolution Française, 19e siècle et Première guerre mondiale en 4e, rien que ça ;
- Entre-deux guerre, Deuxième Guerre mondiale, guerre froide, génocide, décolonisation, histoire politique de la France depuis l’après-guerre, etc… en 3e.
Un simple coup d’œil aux titres des grands thèmes montre au contraire un retour à une approche chronologique, moins éclatée qu’à l’heure actuelle où il arrive que des élèves repartent de quelques siècles en arrière au fil de l’année, tout en se déplaçant entre les grands bassins de population. Et les frises que les enseignants affichent souvent aux murs ne suffisent pas à lutter contre une certaine confusion.
« C’est un programme idéologique qui entretient la culpabilité et la repentance »
Cet angle d’attaque est récurrent depuis deux bonnes décennies. On reproche aux programmes d'être l’instrument d’une légende noire, d’une France mauvaise, odieuse. Le Ministère n’aurait qu’une idée en tête : culpabiliser les jeunes générations, par une démarche de repentance permanente.
Au passage, beaucoup reprochent aux programmes d’histoire de délaisser les grandes figures emblématiques – Clovis, Charlemagne, Jeanne d’Arc, Henri IV… - pour une histoire sociale, économique, culturelle dont on sous-entend qu’elle aurait le défaut d’être un peu chiante pénible - et c’est honnêtement un peu vrai parfois. Ce n’est pas une raison pour leur raconter DES histoires à coups de poules au pot ou de vases de Soissons. C’en est une pour réfléchir à la manière d’enseigner à des classes de 35 gamins qui n’ont pas forcément d’intérêt pour le passé. Ce débat dépasse largement le cours d'histoire-géo, mais les séduire à coups de personnages romancés, c’est leur servir de beaux mensonges à un âge où la construction progressive de l’esprit critique mérite autre chose qu'une histoire façon Gala ou Jour de France. Au demeurant, c'est ce qu'on fait à l'école primaire : il suffit de regarder le programme, ici page 40 : Charlemagne, Louis IX (expréssément présenté comme "roi chrétien"...) François Premier, Louis XIV...
Ce reproche est très en vogue à la droite de l’échiquier politique. J’en veux pour preuve ce passage d’une tribune publiée dans le Figaro par Madeleine Bazin de Jessey, secrétaire nationale en charge des programmes de formation à l'UMP :
« Plutôt que de séquestrer l'élève dans l'obscurité des fautes et des blessures passées, que ne lui propose-t-on des épopées nationales, des modèles, des figures de courage, d'unité et de résistance, dans lesquels il pourra puiser des valeurs incarnées? Les jeunes générations ont droit, aujourd'hui, à se fondre dans une histoire de France qu'ils pourront enfin connaître et admirer. »
Cette agrégée de lettres classiques a entièrement le droit de défendre cette position ; il reste qu’elle serait plus légitime pour s’exprimer sur l’indéniable et lente mise à mort du latin et du grec, plutôt que sur une science humaine qui n’est pas la sienne.
L’Histoire, mais pour faire quoi ?
Au-delà, l’histoire de France doit-elle être un outil idéologique ? Je ne le pense pas et au passage, quel paradoxe de vouloir remplacer une instrumentalisation supposée – la repentance – par une autre, cette « épopée nationale » qu’il faudrait « admirer ». C’est l’histoire façon Lorànt Deutsch ou Frank Ferrand, cela. Autant dire que ça n’est pas de l’histoire, mais du roman et une fiction qui ne s’assume pas ; ce n’est pas de la science, ce n’est pas de la méthode, mais une hypnose, une dévotion aux grands hommes, ces fétiches qui cachent la forêt.
L’enseignement de l’histoire n’a je crois pas à présenter je ne sais quel récit glorieux, je ne sais quel roman français, ni pour enseigner l’idée que ce pays est à nul autre pareil, un phare entre les Nations, baigné de ce "génie français" cher au 19e siècle, à Ernest Lavisse et à Nicolas Sarkozy. Et un rien surannée, il suffit de lire l'exergue du fameux manuel, en tête de ce billet.
L’histoire n’est pas là pour dire le bien et le mal, l’admirable et le méprisable. Elle n’est pas là pour servir une légende, qu’elle soit noire ou dorée. Elle est là pour étudier et exposer des faits, tirer des grandes lignes de force, confronter des thèses et donner des clés qui permettront aux élèves de porter plus tard leur propre jugement d’individus et de citoyens sur tel ou tel événement du passé. Qu’elle le fasse parfois par le chemin de l’anecdote – ce blog tente précisément d’y contribuer à sa manière - fort bien : l’histoire est éminemment littéraire et le récit y a toute place. Mais le récit n'est pas nécessairement un conte ; elle ne peut pas et ne doit pas être un roman national.