Solar Impulse 2, l’avion solaire piloté par le Suisse Bertrand Piccard, poursuit son petit bonhomme de chemin autour du monde. S’il est assez peu probable que ce type d’énergie puisse un jour se décliner sur des vols commerciaux, l’idée d’une énergie alternative à l’essence sur des avions n’est pas nouvelle. À commencer par le très steampunk avion à vapeur des frères Besler, il y a un peu plus de 80 ans. Non seulement on a marché sur la Lune, mais on a volé à la vapeur.
En toile et à vapeur
Née au 19e, l’aviation n’a pas échappé à la règle d’un siècle dont les révolutions industrielles ont reposé sur l’utilisation de deux grandes énergies bien avant le pétrole : la vapeur, puis l’électricité. Et on l’ignore en général mais la première machine à avoir quitté le sol[1], « l’Éole » de Clément Ader, ne fonctionnait pas à l’essence mais à la vapeur. Un improbable bidule qui ressemble à une chauve-souris –ce n’est pas un hasard – fait de bois, de quelques câbles, de quelques toiles et de beaucoup de formules mathématiques.
Assez rapidement, les progrès techniques réalisés sur les moteurs à explosion rendent pourtant la vapeur obsolète en matière d’aviation : pas assez puissante, trop gourmande en combustible… Mais voilà : il y a des ingénieurs têtus. Et quelques années plus tard…
Californie, avril 1933
Bienvenue à Oakland, États-Unis. Depuis plusieurs semaines, deux frères, William et Georges Besler, s’échinent à bidouiller un Travel Air 2000, un beau biplan plutôt nerveux et destiné au vol sportif qui ressemble à ça :
Leur but ? Virer le moteur à essence du modèle traditionnel pour le remplacer par le leur. Les frères Besler ne sont pas tout à fait des bricoleurs du dimanche. L’aîné est géologue, et William, le cadet, est un jeune ingénieur en mécanique. Depuis trois ans, les deux frangins travaillent en secret à un projet de moteur à vapeur qu’ils ont commencé à construire dans l’arrière-boutique d’un mécanicien. Un beau bébé doté de cylindres en V, 250 kilos de métal capable de développer une puissance de 150 chevaux tout de même, dont le développement s’est achevé au sein de l’école de pilotage de Boeing.
En théorie, ça vole. Restait à le prouver.
Et parce que les ingénieurs sont souvent les premiers à vouloir tester leurs joujoux, c’est William qui s’y colle et monte ce matin d’avril dans la belle carlingue bleue, devant quelques curieux. On démarre la machine qui monte en température en quelques minutes – une vapeur à 400°C circule dans les tuyaux du moteur, sous le regard amusé de quelques autres pilotes. Qui vont en rester comme deux ronds de flan : l’avion roule sur la piste et décolle sans aucun problème, suivi par une mince traînée de vapeur blanche.
Le premier – et le seul – avion à propulsion vapeur de l’histoire venait de quitter le sol.
Le plus frappant ? Le silence impressionnant, à peine troublé par le léger chuintement de l’hélice. Du sol, les spectateurs entendent le jeune ingénieur leur crier quelques mots[2]. Le mouvement des turbines est si peu bruyant que Besler affirmera avoir entendu les spectateurs lui répondre.
Besler fait deux tours au-dessus de l’aérodrome à une vitesse de 170 km/h environ. Les commandes répondent parfaitement et l’appareil ne laisse derrière lui qu’une mince trainée de vapeur. Besler vole ainsi 5 minutes sans rencontrer le moindre problème avant de se poser au terme d’un dernier virage avec une belle souplesse, et toujours sans un bruit. Mieux : le moteur à vapeur lui permet de caler l’hélice avant de la faire tourner en sens inverse : alors qu’il touche le sol à 75 km/h environ, le Travel Air freine en une trentaine de mètres à peine.
Des médias enthousiastes
Dans la presse, la nouvelle se répand comme une trainée de poudre. On signale l’absence de vibrations qui évite la fatigue mécanique, on fait valoir l’intérêt de ces vols silencieux dans un but militaire, on vante un mécanisme économique qui prévient tout risque d’incendie à bord, bref : on s’emballe à l’américaine : « la vapeur a enfin triomphé dans les airs », s’émerveille un journal d’aéronautique ; « la réussite des vols d’Oakland a prouvé sans l’ombre d’un doute que la vapeur est destinée à jouer un rôle majeur dans l’histoire de l’aviation. » Les autres vols de démonstration des deux frères, dans les jours suivants, ne font que renforcer l’enthousiasme général.
Enthousiasme que les frères Besler eux-mêmes vont vite tempérer. Ce n’est pas tant le vol qui les intéresse que leur moteur, dont ils espèrent beaucoup.
Faire voler un avion est surtout une manière spectaculaire de démontrer ses capacités : légèreté, puissance, performances énergétiques… Bref, du marketing ; les frères Besler n’ont jamais cru au développement d’avions à vapeur à l’échelle industrielle, encore moins à la possibilité de transporter des passagers dans de tels appareils. Comme pour Solar Impulse, l’enjeu était ailleurs. Les Besler voulaient surtout démontrer que la vapeur n’avait pas dit son dernier mot. Ils n’étaient pas les seuls d’ailleurs : à la même époque, l’industriel et milliardaire Howard Hugues, lui-même expert en avions improbables, consacra des millions de dollars au développement d’une voiture à vapeur dans les mêmes années, avant de renoncer à la commercialiser pour de raisons de sécurité. Les Besler eux, se consacreront au développement d’autres véhicules, en particulier des locomotives à vapeur pour des tramways urbains qui fonctionnèrent jusque dans les années 60.
Ce qui n’empêche pas de conclure avec cette vidéo presque touchante d’un merveilleux fou volant dans sa drôle de machine. À vapeur.
(à partir de 0’46)
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[1] Voler serait un bien grand mot pour cette espèce de suite de bonds hasardeux d’une vingtaine de centimètres de haut décrite par les témoins. M’enfin le fait est que ça ne touchait plus le sol.
[2] Officiellement « Hello ». Plus probablement « Aaaaargh ».