HSBC, née de deux guerres et du trafic de drogue

Scandale après scandale, l’image du secteur bancaire en a pris un coup au cours de la dernière décennie, et ce n’est pas le scandale HSBC qui risque de changer la donne. La banque britannique, qui fêtera ses 150 années d’existence en mars, aurait pu espérer un anniversaire plus calme : la révélation de ses pratiques plus que douteuses par les médias en a décidé autrement. Retour sur l’histoire d’une banque construite en grande partie sur un drôle de commerce.

Au temps des colonies

Pour être sobre, c’est sobre. C’est même le moins qu’on puisse dire devant la présentation lapidaire de l’histoire d’HSBC sur son site institutionnel : "HSBC est ainsi baptisée en référence à sa structure fondatrice, la Hongkong & Shanghai Banking Corporation, établie en 1865 pour financer le commerce florissant entre l’Europe, l’Inde et la Chine".

Oh, c’est exact. Mais un rien court. Le commerce international est effectivement en pleine bourre à l'époque, facilité par les progrès des transports maritimes et ferroviaires. Un exemple ? Dans toutes les zones contrôlées par l’Empire britannique, première puissance coloniale du monde, partent et arrivent des marchandises qui font fureur un peu partout : textiles, bois rares, épices, sucre, indigo… L’esprit d’entreprise fait merveille ; des fortunes se construisent à vitesse grand V dans ce contexte de boom économique mondialisé – déjà – dont les romans de Jules Verne ("Le tour du monde en 80 jours", en particulier) donnent une petite idée.

Comme il faut bien acheminer ces richesses vers leurs heureux destinataires, plusieurs compagnies de transport maritime luttent alors pour se tailler une place au soleil. Parmi elle, la P&O [1], née en 1837 et initialement spécialisée dans le transport de courrier et les toutes premières croisières de luxe du monde, en Méditerranée. En 1865, la compagnie a suffisamment grandi pour étendre ses activités aux Indes britanniques. Ses navires à vapeur multiplient leurs activités dans tout le nord de l’Océan Indien, entre l’Inde et la Chine en particulier. Au sein du conseil d’administration de P&O, un certain Thomas Sutherland, un Écossais, voit plus grand : il décide d’adosser la compagnie sur un établissement bancaire directement installé à Hongkong : HSBC. Parmi les principaux investisseurs, un certain Thomas Dent. Homme d’affaires multicartes, armateur, banquier.

Oh, et baron de la drogue.

De l’opium pour un Empire

Car c’est un peu ce qu’HSBC oublie avec de préciser - avec infiniment de pudeur - en évoquant ce "commerce florissant" dont elle finance la croissance. Une bonne part des marchandises transportées par la compagnie qu’elle finance sont une drogue dure – l’opium.

Et pas qu’un peu : dans les années 1870, on estime que les cargaisons d’opium représentent 70 % du volume de marchandises qui transitent par Hongkong, territoire britannique où P&O a implanté des docks truffés de drogue jusqu’aux toits.  Et lance des navires armés avec le joyeux soutien de la banque HSBC, précisément créée à cet effet.

Revenons à Thomas Dent. Le cher homme a de l’ancienneté dans le trafic de drogue : il s’échine depuis un bon quart de siècle déjà à écouler l’opium indien en Europe, où elle fait des ravages, mais surtout sur l’un des plus vastes marchés du monde, plus proche encore : la Chine, où on estime que 7 millions d’opiomanes donneraient à peu près n’importe quoi pour s’abrutir dans l’une des fumeries de Shanghai ou d’ailleurs.

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Un activisme qui rendait fou de rage le pouvoir impérial. En 1839, la Chine avait même lancé un mandat d’arrêt contre celui qu’elle considérait ni plus ni moins comme un chef de cartel d’une envergure à faire rougir Pablo Escobar. Le tout alors que l’Empire du Milieu essaie de se débarrasser de l’opium depuis déjà près d’un siècle à l’arrivée des Occidentaux en Asie. Cette drogue dure, qu’on fume pour s’abrutir et qu’on surnomme "tabac d’honneur" a d’abord été l’équivalent de notre cocaïne, une drogue réservée aux happy few capables de se payer leurs doses. La puissance de l’industrie anglaise, en faisant exploser la production de pavot change la donne, et fait passer l’opium du statut de produit élitiste à celui de drogue grand public.

En 1729, 200 caisses d’opium avaient été exportées en Chine. En 1838, 40 000…

Deux guerres en vingt ans

Catastrophique du point de vue de l’Empire chinois, bien décidé à tout faire pour empêcher les Anglais d’écouler l’opium indien sur son territoire. Le hic ? Des personnages comme Thomas Dent savent très défendre leurs intérêts auprès de la couronne britannique – en lui rappelant que les taxes sur ces transports ne peuvent que contribuer à la puissance de l’empire de sa Majesté et en faisant valoir cette fameuse" mission civilisatrice de l'Occident" chère aux colonialistes.

Le résultat ? Deux guerres de l'oipum successives (1839-1842 et 1856-1860) entre l’Angleterre (puis d’autres puissances occidentales, France et États-Unis en tête) et la Chine. Et deux défaites de suite pour celle-ci, incapable de résister à la force de frappe des Occidentaux. Déjà contrainte quelques années plus tôt de leur abandonner une série de comptoirs comme Hongkong, elle est contrainte d’autoriser la vente d’opium sur son territoire. Bilan : une Chine humiliée et territorialement réduite, un pouvoir impérial en capilotade, Pékin pillée… Le tout au nom de la liberté du commerce et sans compter les quelques centaines de milliers de vies ruinées par une drogue dont les effets sont comparables à ceux de l’héroïne : sensation d'extase, relaxation intense, insensibilité totale à la douleur… Et dépendance massive.

Bref, un épisode moyennement glorieux de l’histoire coloniale. Mais fort profitable aux quelques hommes d’affaires qui ont la joie de se trouver au bon endroit au bon moment. Le conflit est achevé depuis cinq ans lorsque naît HSBC – pile le bon moment pour tirer les fruits d’un trafic juteux, qui garantit à la banque une croissance particulièrement rapide.

De l’histoire ancienne ? Bof.

Évidemment, on pourra toujours se dire qu’il s’agit d’une vieille histoire et qu’après des décennies d’existence, le lien entre la banque et le trafic de drogue sont depuis longtemps oublié. Bref, que la sixième banque du monde s'est achetée une conduite depuis lurette.

Sauf que non. Avant de faire dans le scandale pour des questions de fraude fiscale, HSBC s’est déjà ramassée une amende record, infligée par la justice américaine en 2012. 1,9 milliard de dollars[2] tout de même. Le motif ? Avoir joyeusement blanchi l’argent des cartels mexicains au travers de ses agences locales. Détail ahurissant : les caisses de cash livrées à la banque par les trafiquants étaient parfois si énormes que certaines agences durent adapter leurs locaux et … élargir leurs fenêtres pour parvenir à les faire passer…

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[1] Pour "Peninsular and Oriental Steam Navigation Company"

[2] Soit l’équivalent de… cinq semaines de profits. Pas cher payé, compte tenu du fait qu’aucun responsable n’a fait l’objet de la moindre condamnation.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu