Novembre 81, novembre 97 : seize années au cours desquelles le serial killer Guy Georges commit une succession de meurtres et de viols dans l’est parisien avant d’être arrêté en mars 1998. Le film qui retrace son histoire, en salles le 7 janvier, en rappelle un autre. En 1976, Le Juge et l’Assassin s’inspirait déjà d’un des tous premiers tueurs en série de l’histoire : Joseph Vacher.
Un homme dérangé
Les campagnes de l’Isère, à la fin du 19e siècle ne sont pas tendres pour des paysans comme les Vacher, un couple de cultivateurs et leurs seize enfants. La famille a bonne réputation, bien qu’on dise le père brutal et la mère un peu cinglée. Sans compter l'un des fils, Joseph, redouté pour des crises de démence au cours desquelles ce costaud fracasse tout ce qui lui passe entre les mains, hommes, meubles ou vaisselle. Les travaux de force qu’on lui confie dès l’enfance pour l’épuiser n’y changent rien, pas plus que son passage chez les Maristes. L’adolescent se fait vagabond et loue ses bras de ferme en ferme, entre Isère et Savoie.
Appelé sous les drapeaux, Joseph Vacher peut un temps croire en son étoile. La vie militaire convient à ce jeune homme capable qui sait lire, écrire et compter – des talents rares pour un fils de paysan, en 1880. Un temps intéressé par l’anarchisme, Vacher se retrouve pourtant dans cet univers de discipline et de règles – il atteindra le grade de sergent avant que l’armée ne se lasse de la brutalité dont il fait preuve avec ses hommes et de certaines manies curieuses, comme celles qui le voient s'arracher les poils du corps par poignées entières - Vacher est velu jusqu'à l'exubérance - pour prouver sa résistance à la douleur.
Et puis il y a Louise. Louise Barrand, sa bonne amie, une domestique que le tempérament violent de Joseph ne tarde pas à faire fuir. Fou de peine, il fait feu sur Louise - quatre fois. Il la manque ; sans doute décidé à revoir ses ambitions de tireur à la baisse, il se tire séance tenante trois balles dans le corps, dont deux dans la tête.
Et survit, au prix d’un visage effrayant : la bouche tordue, un œil injecté de sang, une oreille suppurante en permanence. Sourd d'un côté, il garde les deux balles logées dans le crâne et souffrira toute sa vie de migraines insupportables.
La marche d’un tueur
Considéré comme fou (« aliéné » dit-on), Vacher ne sera pas incarcéré mais passera six mois dans un asile. Doux comme un agneau, il est déclaré guéri et libéré. Nous sommes en avril 1894 : Vacher, marcheur infatigable et rapide, se lance à nouveau sur les routes. Barbu, la tête protégée du soleil par une toque en peau de lapin, il marche, marche et marche encore, sur des centaines de kilomètres, au gré d’étapes qui peuvent atteindre 70 kilomètres par jour. Il dort dans des granges ou des fossés, travaille ici ou là le temps de réunir quelques sous, vole un peu le reste du temps. Mais surtout, il tue.
Pendant trois ans, Vacher assassine des Vosges à la Méditerranée, au hasard des rencontres. De petits bergers, des veuves, des jeunes femmes… Tous ceux qui croisent sa route et n’offrent pas trop de résistance physique. Vacher bat, étrangle, égorge et mutile – une démence sadique à en faire pâlir de jalousie son contemporain Jack l’Éventreur. Il éventre, décapite, castre les hommes et découpe les seins des femmes avant de violer les corps et de les battre encore post mortem, avec le solide gourdin sur lequel il s’appuie pendant ses longues marches.
Arrêté en 1897, Vacher avouera onze meurtres et une tentative de viol, un « palmarès » sans doute bien inférieur à la réalité – entre 30 et 50 assassinats, selon les estimations des enquêteurs, soit un bilan très largement supérieur aux 5 victimes de Jack l’Éventreur – cocorico…
Le procès est agité : Vacher, décidé à jouer la carte de la folie, braille « Vive Jésus et vive Jeanne d’Arc ! » à tout bout de champ et porte autour du cou une pancarte sur laquelle il a écrit « J’ai deux balles dans la tête ». Le physique effrayant de l’accusé, sa présence théâtrale et ses provocations font fureur dans la presse mais rien n’y fera : au terme d’un débat d’experts, l’avis du professeur Lacassagne, un spécialiste de médecine légale, l’emporte sur celui des aliénistes : « Vacher n'est pas aliéné ; il est absolument guéri et complètement responsable des crimes qu'il a commis et avoués». L’avis, qui scella le sort de Vacher, serait sans doute davantage discuté aujourd’hui.
Toujours est-il que les douze jurés ne mirent pas plus d’un quart d’heure à se décider et le condamne à mort. Un Deibler quasi retraité mettra définitivement fin aux migraines de Vacher en le guillotinant devant 2000 personnes à l'aube du 31 décembre 1888. À Bourg-en-Bresse et sous la pluie, en plus, presque une triple peine… Ses derniers mots ? « J'embrasserai Jésus-Christ tout à l'heure (...) Je suis la grande victime de cette fin de siècle. »
De Joseph Vacher à Guy Georges
Au-delà de l’intérêt des cinéastes pour leurs parcours, le Jack l’Éventreur français et le tueur de l’est parisien ont de solides points communs. Tous deux vécurent des enfances chaotiques, tous deux sont intelligents, tous deux vivaient des existences vagabondes et la question de leur discernement fut à chaque fois au cœur de leurs procès respectifs. Les deux hommes échappèrent des années aux enquêteurs, en dépit d’un parcours déjà chargé : Guy Georges avait été arrêté et condamné à plusieurs reprises, Vacher avait un dossier militaire et médical pas franchement flatteur et long comme le bras. Dans son cas, il faudra pourtant tout l’acharnement d’un juge d’instruction, Émile Fourquet, pour faire le lien entre des affaires parfois distantes de 600 kilomètres, comparer les descriptions des témoins, retracer méthodiquement les déplacements du suspect, les corréler avec les meurtres…
Les deux affaires eurent d’ailleurs des conséquences non négligeables en matière criminelle. Le travail de recoupement réalisé par le juge Fourquet, comme ses techniques d’interrogatoires, font qu’il est parfois considéré comme l’un des pères du profilage moderne. L’affaire Guy Georges, de son côté, mit en évidence les difficultés des enquêteurs pour recouper différentes informations. À en croire Gilbert Thiel, le juge d’instruction chargé de l’affaire, un fichier ad hoc aurait pu permettre l’arrestation de Guy Georges après 5 meurtres, sauvant ainsi la vie de deux jeunes femmes. Il sera entendu par la garde des sceaux Élisabeth Guigou, qui assurera la création du FNAEG, un outil qui regroupe depuis 1998 les empreintes génétiques des déséquilibrés sexuels et des personnes liées à des affaires de mœurs.
Et en bonus, la bande annonce du film de Bertrand Tavernier, où Joseph Vacher - renommé Joseph Bouvier - est incarné par Galabru.