La surprise économique de l'année 2015 aura été le prix du pétrole; celui-ci s'était mis à diminuer à partir de la mi-2014, sous l'effet d'un ralentissement de la demande chinoise et de la hausse de la production américaine, puis de la décision de l'Arabie Saoudite d'augmenter sa production en décembre 2014. En janvier, de nombreux experts du secteur considéraient que ces prix bas ne pouvaient pas durer (de mon côté, j'ai fait le plein de ma cuve à mazout en janvier par anticipation). Mais le prix, comme le montre le graphique, a continué de baisser. Et si les prix restaient bas en 2016? Quelques raisons pour cela.
1L'Arabie Saoudite mène sa guerre
Pour les européens, cette baisse du prix du pétrole a le même effet qu'une baisse d'impôts, aux frais de l'Arabie Saoudite. Celle-ci, depuis décembre dernier, maintient une production élevée, alors que son rôle traditionnel dans l'OPEP était de réguler les prix en ajustant sa production. L'une des choses qui a changé, c'est que l'Arabie Saoudite et l'Iran se livrent en pratique une guerre par procuration, en Syrie et au Yemen. Dans le même temps, l'accord sur le nucléaire iranien permet à ce dernier pays d'augmenter ses ventes de pétrole, en particulier à partir de janvier 2016.
Conséquence : si l'Arabie Saoudite décidait, pour faire monter les cours mondiaux, de baisser sa production, les bénéficiaires seraient l'Iran, et quelques autres pays qui reconstituent leur capacité de production, comme la Libye ou l'Irak. C'est le dilemme des cartels de producteurs, déjà rencontré dans les années 80 lors de la guerre Iran-Irak. Les pays producteurs ne parviennent pas à se concerter pour augmenter les prix.
2Les producteurs américains résistent
L'autre raison du maintien de la production en Arabie Saoudite était de mettre un terme à la concurrence de la production américaine de pétroles non conventionnels. Il s'agissait d'une stratégie de dumping : inonder le marché, faire baisser les prix, pour conduire à la faillite les producteurs américains de pétrole issu de la fracturation hydraulique. Cela paraissait facile : ces pétroles non conventionnels coûtent très cher à exploiter, et les puits exploités s'épuisent au bout de 2-3 ans, obligeant à en ouvrir de nouveaux. Les prix bas allaient donc ruiner les producteurs, et arrêter rapidement l'investissement dans de nouveaux puits, rétablissant le pouvoir de l'Arabie Saoudite sur le marché.
Mais cela ne s'est pas passé comme prévu. Certes, la production américaine a diminué, des producteurs de pétrole ont fait faillite. Mais la baisse de production a été très limitée. Les producteurs ont fermé les puits les moins productifs, se concentrant sur les autres; et ils ont appris à extraire plus de pétrole des gisements déjà en utilisation. Ils ont également licencié 200 000 salariés, réduit leurs investissements, et réduit leurs marges après quelques années de profits considérables. En somme : ils se sont bien mieux adaptés que prévu.
3La COP21 a été un succès
Pour comprendre la dynamique des prix d'une ressource non renouvelable, les économistes ont recours au modèle de Hotelling. Celui-ci établit un lien entre le prix actuel d'une ressource, son prix futur et le niveau des taux d'intérêt. De manière simplifiée, le raisonnement est le suivant.
Supposez que vous déteniez un baril de pétrole dans le sous-sol de votre jardin. Vous pouvez décider de l'extraire maintenant, ou d'attendre l'année prochaine. Le prix actuel est de 100 euros. Vous anticipez que le prix l'année prochaine sera de 105 euros. le taux d'intérêt est de 10% par an. Que décidez-vous? Assez logiquement, vous voyez que vous avez intérêt à vendre dès maintenant votre baril de pétrole. Cela vous permet de recevoir 100 euros tout de suite, que vous placez à 10% : ainsi, vous aurez l'année prochaine 110 euros au lieu de 105 euros si vous aviez décidé de vendre votre pétrole l'an prochain. Mais comme tout les gens qui détiennent un baril de pétrole tiennent le même raisonnement, tout le monde se met à vendre du pétrole tout de suite et le prix du baril se met à baisser. Imaginez que les taux d'intérêt baissent à 2% : il devient alors préférable d'attendre l'année prochaine pour extraire son pétrole, et le prix se met à monter.
Ce raisonnement est bien sûr simplifié, les paramètres sont en pratique incertains, de très nombreux autres facteurs entrent en compte, etc. Mais le modèle permet de faire deux prévisions : le prix du pétrole aujourd'hui augmente quand les taux d'intérêt diminuent, et inversement; de même, si le prix futur anticipé du pétrole diminue, il devient préférable de l'extraire tout de suite et le prix actuel diminue.
Il est intéressant de noter que la hausse jusqu'à 2014 du prix du pétrole a été accompagnée de la chute des taux d'intérêt dans les pays développés. Mais aussi de noter que le récent accord de la COP21, quel qu'en soit l'impact à long terme, envoie un message : au cours des prochaines années, les principaux pays consommateurs d'hydrocarbures vont avoir des politiques visant à réduire leur consommation. Certains secteurs, comme le solaire, ont immédiatement bénéficié de cet accord.
Et cela signifie que pour les pays producteurs de pétrole, il devient un peu plus préférable de vendre son pétrole tout de suite plutôt que de le garder sous terre en attendant des prix plus élevés plus tard; un scénario de diminution drastique de la consommation, dans lequel le pétrole devient sans valeur, inexploité pour éviter le réchauffement climatique, est devenu un peu plus probable. Il devient donc préférable de vendre maintenant.
La prévision est un art difficile
De la même façon que peu de gens prévoyaient le prix du pétrole actuel il y a un an, il serait très présomptueux d'imaginer pouvoir prévoir ce prix en décembre 2016. Plein de choses peuvent se produire; la seule chose qu'on puisse prévoir, c'est que le prix du pétrole va fluctuer. Il n'en reste pas moins que de nombreux facteurs contribuent pour l'instant à maintenir les prix bas, et qu'ils devraient rester en place l'année prochaine.