Engrenage de la non-paix au proche-orient
Critique. Victoire militaire d’Israël, la guerre des Six Jours marque aussi le début de la débâcle du sionisme laïc et socialiste.
On le savait mais le livre de Charles Enderlin le rappelle avec force : le tournant dans l’histoire d’Israël a bien été cette année 1967, où l’Etat hébreu a gagné la guerre des Six Jours. Victoire militaire, victoire indispensable à la survie d’Israël, menacé de destruction par l’attaque des pays arabes voisins. Et, paradoxe, cette guerre gagnée va se transformer en défaite politique du sionisme laïc et socialiste des origines. Cette année-là, et au nom d’un «droit divin», la religion et l’occupation des territoires du «Grand Israël» vont peu à peu envahir - polluer - la vie politique israélienne.
En ce mois de juin 1967 donc, les soldats de Tsahal repoussent l’armée jordanienne, pénètrent dans la Vieille Ville de Jérusalem et pleurent en découvrant le vestige du Temple des Hébreux, détruit par Titus dix-neuf siècles plus tôt, le mur des Lamentations (ou mur occidental du Temple), où sont construits des lieux sacrés de l’autre monothéisme, la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher. Les rabbins se précipitent pour récupérer le Mont du Temple, ce symbole de la «rédemption d’Israël».
A la tête des troupes israéliennes, le général et ministre de la Défense Moshe Dayan, est le héros de la guerre, et un laïc convaincu. Tout comme Theodor Herzl, l’inventeur du sionisme au XIXe siècle, pour qui «l’Etat des Juifs» n’est pas un Etat religieux : «Nous ne permettrons pas aux velléités théocratiques de nos chefs religieux d’émerger.» Laïc comme les premiers chefs de l’Etat hébreu, David Ben Gourion et Golda Meir. Ce jour-là, Dayan a le bon réflexe : il ordonne qu’on retire le drapeau israélien planté sur le Dôme du Rocher. «Nous ne sommes pas venus pour conquérir les lieux saints des autres ou restreindre leurs droits religieux, mais pour assurer l’intégrité de la ville et y vivre avec d’autres dans la fraternité», déclare-t-il à la radio israélienne.
Le lendemain, les soldats prennent la ville palestinienne de Hébron où seraient enterrés les patriarches de la Bible. Même ferveur messianique des religieux et même intervention ferme de Dayan : «C’est une mosquée depuis mille trois cents ans, les Juifs doivent se contenter de la visiter et de prier devant les tombes.» Le rabbin aumônier des armées refuse d’obéir : «Il n’y a pas ici de terre arabe, dit-il. C’est un héritage divin.»
Avec l’occupation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, de Gaza et du Golan, les organisations et partis annexionnistes et religieux font irruption sur la scène politique. Et ne cesseront de progresser. Ceux qui veulent garder le «Grand Israël» et construire un Etat religieux s’opposent aux Israéliens laïcs et modernes, qui reconnaissent la nécessité d’un Etat palestinien. Une bataille «Juifs contre Israéliens», disent les extrémistes religieux.
Le journaliste Charles Enderlin, correspondant à Jérusalem de France 2, a écrit de nombreux livres d’analyse politique sur la question de la paix au Proche-Orient. Dans Au nom du Temple, il retrace l’engrenage désespérant de la non-paix : la progression de la religion, les reculades des Premiers ministres, la colonisation… Avec près de 500 000 colons de l’autre côté de la ligne de 1967, la situation est-elle irréversible ? Ou Israël et le judaïsme résisteront-ils à l’appel du messianisme ?
Au nom du temple. Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013) de Charles Enderlin Seuil, 381 pp, 20 €.