En cherchant à éviter d'être dépassé sur sa droite par les groupes les plus virulents contre une partie de la presse, le CRIF se place dans une situation politique très paradoxale. Il y a un an, Richard Prasquier rencontrait à Paris, sur les conseils de Nicolas Sarkozy, le président palestinien Mahmoud Abbas et louait sa volonté de paix. Aujourd'hui, non seulement les institutions juives mènent une campagne active contre la démarche palestinienne à l'Onu, mais en plus elles s'attaquent à une émission de télévision qui a mis en avant les réussites, pacifiques, de l'Autorité palestinienne en Cisjordanie, et qui critique durement le Hamas à Gaza.
Pour une partie du monde juif en France, l'occupation de la Cisjordanie cela n'existe pas et Israël ne peut pas être mis en cause – de la même façon que des groupes pro-palestiniens ont mis des années à condamner les attentats suicides afin de ne pas accabler « la cause ».
L'explication tient au fait qu'une partie du monde juif vit, d'un point de vue de ses lectures, de ses sources d'informations, avec des références très différentes du reste de la société française. Par des sites internet, dont le discours est souvent violent et alarmiste, par le renfort Pierre-André Taguieff, Guy Millière et à présent d'Emmanuel Navon, une partie de la communauté juive se place dans un enfermement où ce que disent et écrivent Régis Debray, Elie Barnavi ou Denis Charbit, qui ne sont pas d'agressifs boycotteurs, n'est pas écouté, lu ni discuté. La réalité de l'occupation est absente du raisonnement du CRIF.
Si on prend un peu de recul historique, les désaccords entre la communauté juive organisée et un organe de presse ne constituent pas une nouveauté. En 1988 et 1989, Théo Klein, alors président du CRIF, échange des lettres orageuses avec Jean Daniel du Nouvel Obs, à propos de la venue d'Arafat en France. La différence c'est qu'aujourd'hui, le CRIF, pour éviter d'être critiqué par son aile la plus vindicative, diffuse ses courriers, fait promotion de ces discordes plutôt que de rechercher un dialogue serein. Cela finit par confirmer les peurs d'une historienne qui a défendu farouchement le droit d'Israël à se défendre, Annie Kriegel, et qui écrivait en avril 1990 dans l'Arche craindre que par des « « les conduites d'obsession et de crispation », le judaïsme organisé n'apparaisse comme une « véritable police de la pensée ».
Samuel Ghiles-Meilhac, auteur du livre: "Le CRIF De la résistance juive à la tentation du lobby, de 1943 à nos jours" ( Robert Laffont, 2011).
Samuel Ghiles-Meilhac est docteur en sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales. Il enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris