L'échec monumental de l'opération Plomb durci

Faute de mieux, la propagande pro israélienne s’est ruée sur le reportage de Lorenzo Cremonesi dans le Corriere de la Sera. Des extraits courent sur le net : le Hamas a gonflé les chiffres des victimes palestiniennes. Il n’y en aurait pas eu 1300 mais 5 à 600, pour la plupart des combattants. Les Islamistes ont tiré depuis des maisons abritant des civils, utilisé des ambulances pour se déplacer. Il n’y aurait aucune preuve d’utilisation du phosphore par l’armée israélienne (pourtant reconnu par Tsahal).  Il faut dire que Lorenzo est un excellent journaliste. Il fut parmi les tous premiers confrères étrangers à entrer dans Gaza par Rafah et son témoignage est à retenir. Il pose avec raison la question des bilans et rappelle que Tsahal maintient son estimation de 1000 tués palestiniens parmi lesquelles au moins 500 combattants du Hamas. (Un détail souvent « oublié » dans les extraits de son article publiés par les divers sites pro israéliens.) A présent que la presse internationale et les ONG humanitaires ont accès à Gaza, une enquête sérieuse peut être réalisée pour éclaircir ces chiffres. Israël a commis une grave erreur en leur interdisant le passage pendant les combats.
 
   Pour le reste, « Plomb durci » est un échec monumental. L’armée israélienne a foncé tête baissé dans le piège qu’elle s’est elle-même tendu. D’abord en s’intoxiquant avec l’idée que le Hamas était l’équivalent du Hezbollah en 2006. Des correspondants militaires parlaient, avant l’opération : « de l’équivalent d’une division iranienne à Gaza! » En fait le Hamas ressemble au Hezbollah de 1996. Lors de l’opération « Raisins de la colère » au Sud-Liban, en avril de cette année là, la milice chiite avait évité le combat face à face et riposté à l’offensive israélienne par des tirs de roquette et d’obus de mortier. A l’époque, en reportage dans le nord d’Israël, j’avais assisté à une conférence de presse du colonel commandant l’artillerie du secteur. Il se vantait de la précision des batteries de Tsahal. Je lui avais rappelé que, statistiquement, des obus finissaient toujours par tomber là où ils ne devraient pas et puis, le Hezbollah avait cette tactique de placer ses hommes à proximité de sites civils. Et, immanquablement, le 18 avril des obus israéliens sont tombés sur une base des casques bleus à Kafr Kana où étaient réfugiés de nombreux civils libanais. Ce fut le carnage. 102 morts parmi lesquels des femmes et des enfants. Les images de Kana furent une catastrophe pour la communication israélienne. Scandalisée, la minorité arabe israélienne décida de boycotter les élections avec pour résultat, le, 29 mai, la défaite de Shimon Pérès et la victoire, d’une courte tête de Benjamin Netanyahu.
 
 Le Hamas n’est pas la première milice à utiliser la population civile et Tsahal n’a pas appris la leçon. Les images de Gaza 2009 ne sont pas moins catastrophiques que celles de 1996, qu’il y ait 600 ou 1000 morts palestiniens, 5000 ou 2000 blessés. Des quartiers entiers détruits, des histoires d’exécutions sommaires, de bavures que l’armée s’obstine à nier ou à expliquer par des mensonges. Par exemple, d’un colonel porte parole, affirmant devant des journalistes que la maison du militant de la paix, le docteur Aboul Aysh, dont trois filles ont été tuées, a été touchée par un missile Grad palestinien… Alors que l’immeuble a subit DEUX tirs. Ce sont les inscriptions laissées par les soldats dans des maisons qu’ils ont occupées : « Mohammed est un porc ! ». etc. etc.
 
    Surtout, politiquement, le Hamas remporte une victoire non négligeable. Lors de la visite éclair du Président Sarkozy à Jérusalem, le 18 janvier, son entourage a fait savoir : « si les palestiniens forment un gouvernement d’union nationale avec le Hamas, cette fois nous ne le boycotteront pas ». Une position reprise par plusieurs gouvernements européens. En d’autres termes, « Plomb durci » a ouvert la voie à un dialogue de la communauté internationale avec  la branche la plus extrémiste de la confrérie des frères musulmans. Son fondateur fut le Cheikh Ahmed Yassin qui, dés 1968 a publié à Gaza sous occupation israélienne les textes violemment anti juifs de l’égyptien de Sayyd Qutb, pendu par Nasser deux années plus tôt. L’histoire de l’aide fournie par Tsahal, dans les années 70 et 80, à l’association islamique fondée par Yassin est connue. Une association qui deviendra le Hamas. La propagande officielle israélienne ne cesse de souligner la générosité d’Israël avec l’évacuation des colonies de Gaza en 2005 mais, évite surtout de donner la parole à tous les experts, militaires et civiles pour qui ce retrait unilatéral signifiait offrir ce territoire au Hamas sur un plateau d’argent. Ariel Sharon et Ehoud Olmert avaient rejeté les demandes de Mahmoud Abbas pour renforcer son emprise sur ce territoire en y déployant un bataillon supplémentaire de policiers palestiniens mieux équipés en armes et munitions. L’affrontement était inscrit au calendrier de la région. Mais, en l’occurrence « Plomb durci » est intervenu au plus mauvais moment possible dans les relations israélo-américaines avec l’arrivée de l’administration Obama. Le nouvel émissaire au Proche Orient, le sénateur Mitchell, va œuvrer pour la réouverture des points de passage vers Gaza et offrir ainsi une victoire supplémentaire au Hamas alors qu’une telle initiative aurait pu venir d’Israël. Les islamistes craignent le plus les progrès politiques et le développement économique. En période de blocus, d’affrontement, de guerre, la population se tourne vers les mosquées où elle trouve des organisations caritatives, des clubs de sports pour la jeunesse.
 
   Lorsqu’ils citent le rapport de la commission Winograd sur les circonstances de la seconde guerre au Liban, les chefs militaires israéliens ne rappellent pas la phrase suivante de ce texte fondamental : « « Certaines élites politiques et militaires étaient parvenues à la conclusion… que la supériorité militaire d’Israël serait suffisante pour dissuader un ennemi de lui déclarer la guerre. Il n’était donc pas nécessaire de préparer le pays à la guerre ni même de rechercher activement la voie vers des accords stables et à long terme avec nos voisins... »
 
   Charles Enderlin