Cela a duré douze ans. Depuis la révolte arabe de 1936 jusqu'à la proclamation de l'Etat d'Israël, le 14 mai 1948. Douze années ponctuées de hold-up, d'assassinats, d'exécutions sommaires, d'attentats, de tueries d'innocents, de vengeances. Douze années d'un combat clandestin pour conquérir un territoire d'abord contre " l'occupant " britannique puis contre le peuple qui y vivait : les Palestiniens. En 1936, note Charles Enderlin, " la population arabe compte 960 000 musulmans et 400 000 juifs ".
En 1920, lorsque le mandat britannique est instauré sur la Palestine après la chute de l'Empire ottoman, les juifs n'étaient alors que 55 000 pour 560 000 musulmans. Au fil des ans, le rêve sioniste va prendre forme et se transformer en une lutte violente et sanglante pour aboutir à la partition de la Palestine décidée par l'ONU, le 29 novembre 1947. Israël a aujourd'hui 60 ans, et la Palestine est encore un Etat en devenir toujours promis, jamais réalisé.
C'est cette naissance " par le feu et par le sang " que le correspondant de France 2 en Israël a choisi, cette fois, de raconter après avoir consacré trois autres ouvrages à cette quête impossible de l'indépendance de la Palestine à travers un processus de négociations toujours recommencé et jamais abouti.
" On n'offre pas d'Etat à un peuple sur un plateau d'argent ", avait dit Chaïm Weizmann, qui fut le premier président de l'Etat d'Israël. De fait, il apparaît très vite aux membres du Yishouv, la communauté juive de Palestine, et à tous ceux qui viennent la rejoindre que les bombes et les armes sont les seuls moyens pour faire triompher les théories de Theodor Herzl, qui, avec la montée du nazisme en Allemagne puis la deuxième guerre mondiale, prennent, plus que jamais, les allures d'une nécessité pour le peuple juif.
Ceux qui pour les Britanniques apparaissent au départ comme des " gangsters " deviennent des militants combattants animés par une cause pour laquelle il ne faut renoncer à aucun moyen. La lecture de cet ouvrage est, à cet égard, édifiante sur les moyens utilisés par toutes ces organisations qui ont pour nom Bétar, Irgoun, Haganah, groupe Stern, Palmach, qui, avec des stratégies différentes, des rivalités féroces, des méthodes plus ou moins radicales, sont résolues à chasser l'occupant.
Charles Enderlin n'a pas fait l'addition du nombre de victimes dans un camp comme dans l'autre, mais le bilan des attentats et des actions armées est impressionnant. Victimes civiles, militaires, mais également de personnalités comme le comte Bernadotte, le médiateur de l'ONU, ou encore l'assassinat de Lord Moyne au Caire. Le terrorisme n'a pas de frontières. L'un des tueurs explique lors de son procès que " la loi doit se fonder sur la justice. Si ce n'est pas le cas, il n'y a aucune raison de la respecter. Il n'y avait pas d'autres moyens de faire respecter nos droits spoliés ".
Le plus étonnant dans cette saga où tous les coups semblent permis est l'apparition de tous les noms qui, par la suite, ont continué à faire l'histoire d'Israël. Que ce soit Moshe Dayan ou encore Menahem Begin, commandant de l'Irgoun, et Itzhak Shamir, chef des opérations du groupe Stern, ou enfin Itzahk Rabin, officier de la Haganah, l'ancêtre de Tsahal. Trois d'entre eux sont devenus premier ministre.
Le plus célèbre des attentats reste celui de l'Hôtel King David, le 22 juillet 1946, qui fit 91 morts. Aujourd'hui, cette lutte sans merci pour la conquête d'une indépendance prend une résonance particulière lorsqu'on la compare avec celle du peuple palestinien pour la reconnaissance de ses droits et de son Etat. Terroriste pour les uns, combattant de la liberté pour les autres, l'adage n'a jamais été aussi bien approprié. C'est tout le mérite de cette enquête de nous remettre en mémoire un passé pourtant pas si éloigné.
Michel Bôle-Richard
Par le feu et par le sang,
de Charles Enderlin,
Albin Michel, 362 pages, 20,90 ¤