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«Face au Hamas, Israël n'a pas de stratégie»

par Vincent Hugeux, Pierre Ganz
Correspondant de France 2 à Jérusalem, Charles Enderlin évoque dans Par le feu et par le sang (Albin Michel), le «combat clandestin pour l'indépendance d'Israël entre 1936 et 1948». Diagnostic d'un journaliste et historien.

L'impasse proche-orientale était-elle inscrite dès 1948 dans l'ADN de l'Etat juif naissant? Oui. Dès 1936, on décèle les prémices de l'actuel conflit. Il est alors question de créer deux entités en Palestine: un foyer national juif, tel que l'avait promis et entériné la Société des nations, et un Etat arabe. Déjà, on envisage des transferts croisés de populations. Cela dit, cette histoire est une longue chronique d'occasions manquées par tout le monde.

S'agissant de la genèse de l'Etat, les Israéliens regardent-ils la réalité en face?

Ils ont souvent, comme d'autres, la mémoire courte et sélective. Il y a ainsi des guerres dont on parle très peu. Celle de 1956 contre l'Egypte de Nasser; l'invasion du Liban, en 1982. A l'inverse, la guerre des Six-Jours (1967) et le conflit d'octobre 1973 demeurent omniprésents. La récente et tragique incursion de l'armée à Gaza - plus de 120 tués, civils pour moitié - ne fait pas la Une des quotidiens. Les Israéliens veulent oublier la période des attentats suicides, quasiment révolue en dépit de l'attaque sanglante perpétrée voilà peu contre une école talmudique de Jérusalem.

Peut-on accéder au pouvoir sans sortir des rangs de Tsahal?

Le Premier ministre, Ehud Olmert, n'a pas cette légitimité. Pas plus que l'un de ses prédécesseurs, Benyamin Netanyahu. Beaucoup imputent l'échec de la campagne au Liban-Sud de l'été 2006 à l'absence d'expertise militaire d'Olmert et de son ministre de la Défense. Theodor Herzl NDLR: le père du sionisme prédisait que, dans l'Etat juif, les rabbins resteraient dans les temples et les généraux dans les casernes. Tel n'est pas le cas: généraux et rabbins sont au pouvoir. Le poids des partis religieux reste prohibitif. Il explique le feu vert donné il y a peu à la construction de nouveaux logements dans des implantations juives proches de Jérusalem. Le parti orthodoxe séfarade Shas menace de faire éclater la coalition si l'on entrave cet essor.

Les Etats-Unis peuvent-ils prétendre au titre d' «honnête courtier», souvent revendiqué?

Ils ne l'ont jamais été, sinon au temps du secrétaire d'Etat James Baker, qui a réussi, en 1991, à réunir la conférence de Madrid. Bill Clinton, lui, a géré de manière catastrophique la dernière ligne droite du processus d'Oslo. L'échec de Camp David a surtout été un échec américain. Quant aux néoconservateurs, ils s'accommodent fort bien de l'échec de la réunion d'Annapolis. Washington a joué dans la région un rôle négatif.

Tous les ponts sont-ils rompus?

Israéliens et Palestiniens se rencontrent discrètement trois ou quatre fois par semaine. Mais soyez sûrs que, si s'amorce un accord public, les islamistes du Hamas déclencheront de nouveaux attentats suicides. Ils agissent ainsi de manière systématique depuis 1994, pour torpiller toute ébauche de compromis. Soumis à une immense pression de l'opinion, exaspérée par les tirs de roquettes, Israël n'a pas de stratégie à l'égard du Hamas. Même si l'armée sait qu'une réoccupation serait désastreuse. Seule issue: l'option politique. Un accord pour un Etat souverain et viable, conclu par deux leaders affaiblis, Ehud Olmert et le Palestinien Mahmoud Abbas. Américains et Européens ont commis l'erreur de donner un an au processus d'Annapolis pour aboutir. Ce qui revient à donner un an aux extrémistes de tous bords pour le saborder.

L'Union européenne peut-elle enfin passer du statut de figurant à celui d'acteur?

L'Europe met la main à la poche et finance de fait une Autorité palestinienne qui ne dirige rien et se borne à jouer les trésoriers-payeurs des salaires des fonctionnaires. Elle a la grande amabilité de signer des chèques sans réclamer voix au chapitre. Regrettable.

Propos recueillis par Vincent Hugeux et Pierre Ganz (RFI) dans le cadre de l'émission RFI-L'Express L'Invité de la semaine