Les négociations israélo-palestiniennes progressent mais dans le plus grand secret. Il ne faudrait pas que les adversaires de la paix aient vent des sujets abordés. Au sein du gouvernement Olmert, le parti orthodoxe séfarade menace de quitter la coalition parlementaire si la question d’une division de Jérusalem est abordée au cours de ces rencontres. Chez les Palestiniens, si le Hamas a l’impression qu’un accord est proche, il pourrait commettre de nouveaux attentats suicides comme il l’a fait dans le passé. Déjà, le processus d’Annapolis est à la merci des roquettes Qassam tirées depuis Gaza. Si un des ces engins devait, par exemple, exploser sur un jardin d’enfants à Sderot faisant de nombreuses victimes. Israël n’aurait pas le choix et déclencherait une opération majeure à Gaza. Le bilan en serait nécessairement très élevé de part et d’autre, cela entrainerait la fin des pourparlers.
Dans ces conditions, accorder une année pour parvenir à un accord, c’est offrir douze mois à tous les extrémistes de la région pour qu’ils torpillent toute possibilité de parvenir à la paix. Il faudrait aller vite d’autant plus que Mahmoud Abbas et Ehoud Olmert sont des leaders faibles, peu populaires. Le président palestinien ne peut donner l’ordre à ses maigres forces de police de lutter contre « le terrorisme pour la sécurité d’Israël ». Le premier ministre israélien ne parvient pas à obtenir de l’armée dirigée par le ministre de la Défense, Ehoud Barak, qu’elle lève des barrages en Cisjordanie ou évacue des colonies importantes. Tous deux font face à une opposition qui rejette l’idée même d’un état palestinien indépendant sur l’ensemble de la Cisjordanie. Pour le Hamas, une solution définitive ne peut être qu’islamique. La disparition d’Israël. Sur le mode « gestion du conflit » il accepterait un cessez le feu de longue durée, comme la droite et l’extrême droite israéliennes qui sont en faveur de l’annexion de Jérusalem Est et de tout ou partie des territoires occupés.
Alors, pourquoi ne pas aller vite? Réunir Messieurs Abbas et Olmert, et les obliger à négocier un accord en quelques semaines, en un mois ou deux. En fait, tous les diplomates du Proche Orient et les membres du Quartet connaissent parfaitement les grandes lignes d’une paix. Les Israéliens ne signeront pas d’accord dans lequel les Palestiniens ne s’engageraient pas à renoncer à toute revendication dans l’Israël d’avant 1967 : pas de retour en masse de réfugiés palestiniens, seulement des réunifications de familles limitées. Le droit au retour se ferait dans l’état de Palestine, des compensations financières généreuses étant accordées à tous les réfugiés. Les dirigeants palestiniens savent que c’est la ligne rouge de tous les gouvernements israéliens, même de gauche. Mais ils ne signeront un tel engagement qu’en échange d’un état viable et indépendant sur la totalité de la Cisjordanie - avec si nécessaire un échange de territoire s’il s’avère impossible d’évacuer les colonies les plus peuplées- la souveraineté sur les quartiers arabes de Jérusalem Est et une solution satisfaisante pour les saintes mosquées, qui se trouvent sur le lieu saint du judaïsme, le Mont du Temple.
La plupart des dossiers d’une paix future ont déjà été largement exploré. Pendant et après le sommet de Camp David en 2000, lors des pourparlers de Taba en janvier 2001. Les négociateurs pourraient également s‘inspirer de l’initiative de Genève proposée par les modérés des deux camps en décembre 2003. Mais, les néoconservateurs américains veulent-ils d’une telle paix entre Israéliens et Palestiniens? Probablement pas, si on en juge par cette information publiée par le Figaro le 9 février dernier : Elliott Abrams, le numéro deux du Conseil national de sécurité américain, a déclaré à des diplomates européens à propos des négociations d’Annapolis «Les États-Unis vont laisser les deux camps négocier jusqu'à la fin de cette année. Nous ne nous impliquerons pas dans les discussions. Mais si, à la fin des pourparlers, les Israéliens nous disent : “Nous sommes prêts à accepter zéro réfugié palestinien”, nous les suivrons ; et s'ils nous disent : “Jérusalem-Est, c'est aux Israéliens”, nous ne les contredirons pas, non plus.» Commentaire désabusé d'un diplomate : «Les Américains sont revenus sur leur engagement d'être les juges et les surveillants du processus d'Annapolis. Mais s'ils espèrent tordre le bras de Mahmoud Abbas, ils rêvent. Jamais ce dernier n'acceptera de liquider la cause palestinienne». Effectivement, si aucun accord n’est conclu d’ici la fin 2008, Mahmoud Abbas et son équipe quitteront la scène politique. Les Palestiniens et le monde arabe en tireront la conclusion que la communauté internationale ne veut ou ne peut réaliser la paix au Proche Orient et aura laissé la colonisation se poursuivre en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Ce sera une nouvelle victoire pour l’Islam radical.
Charles Enderlin